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» Nous connaissons l’argumentation de Lénine, surtout d’après son article : « De la phase révolutionnaire » ( « Pravda », n° 31). Cette argumentation ne nous a pas convaincus. »

L’auteur fait, ensuite, une critique serrée de cette argumentation de Lénine et lui en oppose une autre pour terminer comme suit :

« Nous avons la conviction ferme que l’acceptation de’a paix offerte ralentira la révolution, l’abaissera, la rendra pour longtemps débile, anémique, incolore…L’acceptation de la paix fera courber la révolution, la mettra à genoux, lui enlèvera les ailes, l’obligera de ramper… Car, l’esprit révolutionnaire, le grand, enthousiasme de la lutte, cette envolée magnifique de la grandiose idée de l’affranchissement du monde lui seront enlevés.

» Et — pour le monde — sa lumière s’éteindra. »

La majorité du Comité Central du parti communiste russe se prononça d’abord pour la première solution. Mais Lénine, en véritable dictateur, eut peur de cette solution hardie. Il invoqua, au contraire, le danger de mort pour la révolution, en cas de non-acceptation de la paix offerte. Il proclama la nécessité d’un « répit » qui permettrait de créer une armée régulière. Il brava l’opinion des masses et de ses propres camarades. Il menaça ces derniers de décliner toute responsabilité et de se retirer, séance tenante, si sa volonté n’était pas exécutée. Les camarades, à leur tour, eurent peur de perdre « le grand chef de la révolution ». Ils cédèrent. La paix fut signée.

Ainsi, pour la première fois, la « dictature du prolétariat » l’emporta sur le prolétariat. Pour la première fois, le pouvoir bolcheviste réussit à terroriser les masses, à substituer sa volonté à la leur, à imposer son autorité, à agir de son chef, faisant fi de l’opinion des autres…

La paix de Brest-Litovsk fut imposée au peuple laborieux par le gouvernement bolcheviste, lequel réussit à briser la résistance des masses, à obtenir leur obéissance, leur passivité forcée.

Tel fut le résultat du premier différend sérieux entre le nouveau gouvernement et le peuple gouverné. Ce ne fut que le premier pas — le plus difficile. La continuation était beaucoup plus aisée. Ayant une fois enjambé impunément la volonté des masses laborieuses, s’étant une fois emparé de l’initiative de l’action, le nouveau pouvoir lança, pour ainsi dire, un lasso autour de la révolution. Dorénavant, il n’avait plus qu’à continuer de le serrer, pour obliger les masses à se traîner à sa suite, pour leur faire abandonner entre ses mains toute initiative, pour les soumettre entièrement à son autorité et, finalement, pour réduire toute la révolution aux limites d’une dictature.

C’est ce qui arriva, en effet. Car, telle est, fatalement, l’attitude de tout gouvernement. Tel est, fatalement, le chemin de toute révolution qui laisse intact le principe étatiste, politique, gouvernemental. Tôt ou tard, vient le premier désaccord entre les gouvernants et les gouvernés. Ce désaccord vient d’autant plus fatalement qu’un gouvernement, quel qu’il soit, est toujours impuissant à résoudre les problèmes d’une grande révolution et que, malgré cela, tout gouvernement, et toujours, veut avoir raison, veut avoir pour lui l’initiative, la vérité, la responsabilité, l’action… Ce désaccord tourne toujours à l’avantage des gouvernants. Et ensuite, toute initiative passe, avec la même fatalité, à ces gouvernants qui deviennent ainsi les maîtres absolus des millions de gouvernés. Ce fait acquis, les maîtres se cramponnent au pouvoir, en dépit de leur incapacité, de leur insuffisance, de leur malfaisance… Ils se croient, au contraire, seuls porteurs de la vérité. Ils se défendent contre toute opposition ; ils accaparent tout ; ils créent des privilégiés sur lesquels ils s’appuient ; ils organisent les forces capables de les soute-

nir ; ils répriment toute résistance ; ils persécutent tout ce qui ne veut pas se plier ù leur bon plaisir ; ils mentent, ils trompent, ils sévissent, ils tuent…

C’est ce qui arriva, fatalement, à la révolution russe.

Une fois bien assis au pouvoir, ayant organisé une armée et une police, ayant bâti un nouvel État dit « ouvrier », le gouvernement bolcheviste, maître absolu, prit en mains définitivement les destinées futures de la Révolution. Peu à peu — au fur et à mesure qu’augmentaient ses forces de coercition et de répression — le gouvernement étatisa et monopolisa tout, absolument tout, jusqu’à la parole, jusqu’à la pensée.

Ce fut l’État — donc, le gouvernement — qui s’empara de tout le sol, de tout l’ensemble des terres. Il en devint le vrai propriétaire. Les paysans, dans leur masse, furent, petit à petit, transformés en des fermiers d’État.

Ce fut le gouvernement qui s’appropria les usines, les fabriques, les mines, tous les moyens de production, de consommation, de communication, etc., etc…

Ce fut le gouvernement qui usurpa le droit d’initiative, d’organisation technique, d’administration, de direction, dans tous les domaines de l’activité humaine.

Ce fut, enfin, le gouvernement qui devint le maître unique de la presse du pays. Toutes les éditions, toutes les publications en U. R. S. S. — jusqu’aux cartes de visite — sont faites ou, au moins, rigoureusement contrôlées par l’État.

Bref, l’État, le gouvernement devint, finalement, seul détenteur de toutes les vérités ; seul propriétaire de tous les biens, matériels et spirituels ; seul initiateur, organisateur, animateur de toute la vie du pays, dans toutes ses ramifications.

Les 150 millions d’habitants se transformèrent, peu à peu, en simples exécuteurs des ordres gouvernementaux, en simples esclaves du gouvernement et de ses innombrables agents.

Tous les organismes économiques, sociaux ou autres, sans exception, en commençant par les Soviets et en finissant par les plus petites cellules, devinrent de simples filiales administratives de l’entreprise étatiste, filiales subordonnées totalement au conseil d’administration central : le gouvernement, surveillées de près par les agents de ce dernier : la police, privées de toute ombre d’une indépendance quelconque.

L’histoire authentique et détaillée de cette évolution achevée il y a à peine deux ou trois ans — histoire formidable, extraordinaire, unique dans le monde — mériterait, à elle seule, un volume à part. Ici, obligés de condenser, nous n’en avons donné qu’un très bref résumé. Ajoutons y un seul détail, car, au point de vue chronologique, notre résumé a quelque peu interverti l’ordre des faits.

Une fois au pouvoir, et en possession d’une force armée, le plus facile pour le parti bolcheviste était d’étatiser les organisations ouvrières, les moyens de transport et de communication, la production minière, la grosse industrie, le gros commerce. C’est, en effet, par ce bout que l’étatisation commença.

Le plus difficile fut de s’approprier le sol, de supprimer le fermier privé, d’étatiser l’agriculture. Cette tâche vient d’être accomplie en tout dernier lieu, après des années de luttes acharnées.


Puisque tout ce qui est indispensable pour le travail de l’homme — autrement dit, tout ce qui est capital — appartient en Russie actuelle à l’État, il s’agit, dans ce pays, d’un capitalisme d’État intégral. Le capitalisme d’État, tel est le système politique, économique, financier et social en U. R. S. S., avec toutes ses conséquences logiques dans le domaine moral, spirituel ou autre.

Pour le travailleur, l’essentiel de ce système est ceci : tout travailleur, quel qu’il soit, est, en fin de compte,