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2013

par Léonard et par Corrège. Mais Guérin, Gérard et Girodet sont assez fades. Il semble que la sève appauvrie des petits maîtres du xviiie, s’essaie vainement, avec eux au grand art. Gros (1771-1835), au contraire, transpose dans l’exaltation des héros contemporains le fort enseignement davidien ; il y ajoute le culte de Michel-Ange et y apporte une fougue particulière et de singuliers dons de coloriste. C’est de lui que le génial Géricault (1791-1824) tient son modernisme réaliste et sa hardiesse. Mais les Anglais, qu’il connut chez eux, et Rubens renouvelèrent et libérèrent sa technique. On doit noter ici comme un élément important de l’enrichissement de la peinture au xixe siècle, le perfectionnement par les Anglais et la diffusion de l’aquarelle.

Delacroix (1798-1863), génie inquiet et magnifique, semble l’incarnation du romantisme. Mais ce serait insuffisamment le définir. Car si par l’expansion somptueuse qu’il lui a donnée, il impose, contre la tyrannie de l’antique, le goût du moyen âge, de l’exotisme ou du moderne déjà vivaces chez Gros et Géricault, il convient de noter que du point de vue de l’invention el des sujets, Ingres, son grand rival, n’est pas moins en opposition avec les antiques ; et que si Delacroix, délaissant l’archéologie, reprend la tradition aux Vénitiens, il la cherche plus haut, chez les Florentins du xve et chez Raphaël. Cette courte digression doit suffire à montrer la vanité des appellations et l’insuffisance du choix des sujets à distinguer entre eux les peintres. Peu importe le bric-à-brac d’accessoires historiques auquel Delacroix fit souvent appel. Où Delacroix a réussi quelques-unes des plus fortes pages de l’histoire de la peinture, Delaroche, avec les mêmes éléments, n’a rien produit que d’ennuyeuses images.

C’est de l’influence mêlée de Delacroix et des Anglais que procèdent maints petits maîtres du paysage et de l’exotisme : Paul Huet, Isabey, Decamps, et des intimistes comme Tassaert.

Ingres (1780-1867) hérite de David l’autorité sur l’école. Ce dessinateur prodigieux, interprète des « valeurs tactiles » aussi sûr que les Florentins du xve, est un peintre sec et sans vibration. Ses portraits, ses nus s’imposent pourtant, les uns par une certaine grandeur d’expression et de composition, les autres par le sentiment très aigu de la volupté des formes. Rien, au contraire, ne rattache à la vie l’école des Nazaréens allemands : Cornelius, Schnorr, Overbeck ne sont que de tristes intentionnistes.

L’École d’Ingres est en grande partie responsable de l’académisme officiel qui pesa sur tout le milieu et le troisième quart du xixe siècle et d’où il ne fallut rien moins que le génie de Courbet d’une part et la révolution impressionniste d’autre part, pour sauver la peinture. Flandrin et Mottez, plus peintre, se sauvent par leur dignité et leur conscience. En réalité, comme au xviie, ce sont les éclectiques, Gleyre, Cabanel, Delaunay ou de faux romantiques Ary Scheffer, Couture et Baudry qui causent l’affaiblissement de la peinture.

Chassériau (1818-1856), qu’on a voulu prendre comme un moyen terme entre Ingres et Delacroix, est, en réalité, un maître personnel, non qu’il soit sans contacts, en particulier avec Delacroix, mais sa sensibilité et son charme le font distinct et reconnaissable.

Le début et la première moitié du siècle ont méconnu deux très grands maîtres qui, en dehors des écoles et de la mode, poursuivirent, diversement, une œuvre riche d’humanité et d’amour : Corot et Daumier, que le xxe siècle a mis à leur place réelle. J.-B. Corot (1796-1875), longtemps considéré sous son seul aspect de paysagiste, est aussi un peintre de figures d’une simple et émouvante grandeur. Mais nul n’a mieux que lui exprimé la douceur charnelle et comme intime de la nature et de l’atmosphère. Daumier (1809-1879), peintre, graveur, aquarelliste et lithographe, est un puissant témoin des mœurs et des caractères. On l’a comparé à

Molière, mais s’il n’est pas moins profond, il est moins complaisant. Sa révolte a cinglé les puissants avec une grandeur tragique qui l’apparente à Goya. Celui-ci termine en 1828 une longue et puissante carrière. Après lui, l’école espagnole s’éteint dans ses initiateurs, dont le plus brillant est Lucas.

A la suite des salons où exposèrent les grands paysagistes anglais Constable (1776-1837) et Bonnington, un amour puissant de la nature souleva l’enthousiasme de jeunes artistes. Retirés dans la forêt de Fontainebleau, en contact avec la nature, Théodore Rousseau (1812-1867), Daubigny (1817-1878), Jules et Victor Dupré, Diaz, Troyon, renoncèrent au paysage composé, cherchèrent la simple grandeur de l’expression directe où ils avaient été, sans le savoir, précédés par Georges Michel. Millet (1816-1875), leur voisin de forêt, les dépasse par la grandeur qu’il sait donner au travail humain. D’autres paysagistes, partis en Orient, à l’exemple de Delacroix et de Decamps, y cherchèrent moins le pittoresque qu’une vérité un peu courte. Fromentin et, mieux que lui, Marilhat ; expriment cette tendance. Il est étrange et inexplicable qu’au temps presque où la sève de Constable et de Bonington portait ses fruits, où Turner achevait son œuvre pour l’éblouissement des générations suivantes, toute une formation d’artistes anglais se soit délibérément refusée à une emprise que recevait l’Europe, ait laissé tarir cette veine. Les pré-raphaëlites : Millais, Burne Jones, Wats, Madox Brown, Rossetti sont sortis de la vie par amour du xve siècle ; et si quelques-uns, comme Millais et Wats ont gardé le sens de la peinture, c’est quand ils ont oublié leurs théories. Après eux, Walter Crane, Kate Grineway, Brangwyn sont des illustrateurs.

La première moitié du siècle vit naître en France des écoles provinciales : celle de Provence, avec Granet, élève de Constantin et de David, celle de Lyon avec Berjon, Grobon et les inspirés d’Ingres, comme Orsel et Jeannot.

Mais en 1850, une affirmation puissante marque une nouvelle détermination de la peinture. Courbet (1819-1877) avec « l’Enterrement à Ornans », réagit à la fois contre l’académisme et contre l’éclectisme. On ne peut se contenter de voir en lui l’aboutissement de petits maîtres, Cals ou Bonvn. Aux dernières années de Delacroix il apporte sa forte prétention de successeur légitime. Ce génie robuste et limité, l’un des plus parfaits ouvriers de la peinture, a produit, une œuvre où la sève populaire circule avec la sensualité la plus saine. La haine bourgeoise lui fit payer, de son vivant et après sa mort, sa participation à la Commune.

A la suite d’un voyage à Francfort et de son exil définitif en Suisse, Courbet peut être considéré comme l’initiateur en Europe Centrale sinon d’une école, du moins de quelques peintres, les plus vivaces et les plus vrais. Leibl, Liebermann sont des portraitistes un peu mous mais délicats. Hans Von Marées, malgré sa grandiloquence, est un peintre. L’école russe, assez tardive, produit vers le même temps, des œuvres secondaires.

En France, la libération des formules qu’inaugura Courbet ne fut pas perdue. Il convient de noter d’ailleurs l’influence bienfaisante qu’un maître de l’école, Lecocq de Boisbaudran, eut alors sur toute une génération de jeunes gens : Fantin Latour (1836-1904), Alphonse Legros, le grand Américain Whistler. Fantin est un peintre des plus sensibles et des plus fins. Il semble qu’en ce moment de 1860, l’air circule plus à l’aise dans la peinture. Les peintres sont sortis, les uns de la tension romantique, les autres de la forêt. Le grand exemple de Corot, sensible chez Lépine, celui de Delacroix, inspirent respect et admiration. Mais aux italiens, aux flamands, aux anglais, voici que, comme excitant étranger, succèdent les espagnols hautains. Cependant un Ricard (1823-1872), isolé volontairement dans son culte des maîtres, a donné quelques-unes des