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effigies les plus aiguës et les plus modernes. Les écoles locales, à ce moment, brillent encore avant de disparaître. L’origine provençale rapproche ici de Ricard Guigou (1833-1871), maître incomplet, mais sensible et vrai.

Manet (1832-1883) est un peintre de grande race et de grand goût. Il réagit contre les couleurs sombres de Courbet, de Théodule Ribot, d’autres encore. S’il doit aux maîtres espagnols, c’est à Velasquez et à Goya ; mais avec un sentiment si personnel, un accent si authentique que toute la peinture après lui en est marquée. Si ceux qu’on appelle les impressionnistes l’ont devancé dans leurs recherches du plein air, ils ne sont pas moins, pour leur conception générale de l’art, ses disciples. Mais, en même temps que lui, un autre maître qui, par sa possession du mouvement des lignes s’égale aux grands, marque également, bien que diversement, sur les peintres qui le suivirent : Edgar Degas (1834-1917). Dans une veine pessimiste, apparentée, Forain, maître dessinateur, ainsi que Steinlen ont laissé des pages émouvantes.

N’est-ce pas un peu à Manet, puis au-delà de lui à Courbet et aux peintres de Fontainebleau que l’école hollandaise du milieu du siècle, l’école de la Haye doit son puissant et bref renouvellement ? Mais la vieille sève hollandaise y est aussi pour beaucoup. Bosboom (1817-1891) procède également de Bonington et de Jules Dupré. Josef Israëls (1827-1900 ?) ne semble rien devoir aux maîtres éclectiques français, avec qui il étudia, non plus qu’à Ary Scheffer. Son réalisme à la fois sombre et lyrique, son habileté manuelle et sa souplesse de matière remontent dans le temps, aux ancêtres du xviie, à l’émotion issue de Rembrandt. Autour de lui et après lui, les frères Maris Jacob et Wilhem, peintres de matière riche, évocateurs de paysages, puis Anton Mauve et Mesdag, portent dans le paysage la même sève et le même esprit.

L’école belge procède également des maîtres français : De Navez, élève talentueux de David, à Alfred Stevens, marqué par Courbet et Fantin, à Constantin Meunier. Vers la fin du siècle pourtant, des maîtres moindres, Laermans, Brackeleer réagissent ; mais c’est pour suivre de loin leurs ancêtres du xve siècle ou du xviie.

Tandis que Manet et Degas tirent de la veine réaliste et contemporaine la matière de leur élévation picturale, un génial isolé : Puvis de Chavannes (1824-1898) construit, avec des moyens aussi modernes, ses visions de l’humanité éternelle. Puvis restera le grand décorateur de la seconde partie du xixe, comme Delacroix fut celui de la première. S’il est moins peintre, moins vibrant, moins inventif, il a davantage le sens de la surface à décorer. Alors que tant d’écoles, depuis Ingres jusqu’aux pré-raphaëlites anglais, en passant par les Nazaréens allemands s’épuisèrent à rechercher l’esprit des italiens des xive et xve siècle, en voulant imiter leur manière et leurs sujets, Puvis y atteint par des moyens modernes avec des sujets qui ne doivent rien à aucune autre mythologie que celle de l’humanité nue.

Le mouvement impressionniste, qui est à proprement parler le réalisme appliqué à l’expression des rapports de la lumière en plein air, est moins isolé qu’il ne semble. Les paysagistes anglais, et le plus grand de tous, Turner (1775-1851), visionnaire génial des brumes et du soleil, le hollandais Jongkind (1819-1891), le havrais Boudin (1824-1898), le marseillais Monticelli (1824-1886), prestigieux visionnaires ; les lyonnais Ravier, Guichard, Carrand et Vernay, peuvent, diversement et à divers moments de leur carrière, être considérés comme des précurseurs. Cela ne doit rien retirer au mérite de ceux qui codifièrent, si l’on peut dire, les recherches, et leur donnèrent leur plus forte expression : Camille Pissarro (1830-1903), l’anglais Alfred Sisley (1839-1899), Maximilien Luce (1858) et surtout Claude Monet (1840-1926), le plus sensible et le plus habile de ces maîtres de la lumière.

Alfred Renoir (1841-1920) et Cézanne (1839-1906) s’ils ont passé par l’impressionnisme, le dépassent. Renoir, par la puissance de sa vision, l’allégresse de ses nus, revient, avec des moyens renouvelés, à la grande tradition vénitienne. Cézanne est plus particulier encore. Le plus peintre des peintres, il semble qu’il réinvente la peinture. Nul plus que lui n’a su rendre la vibration tactile des volumes colorés. Tout pour lui est couleur et le modelé ne s’exprime par aucune ombre, mais par un ton opposé à un ton. Cézanne est l’initiateur de toutes les recherches de synthèse. Avec Van Gogh (1853-1890), hollandais génial et brûlé à son propre feu, avec Toulouse-Lautrec (1864-1901), évocateur d’une époque, avec Odilon Redon (1840-1916) pur et féerique, les moyens impressionnistes encore servent à la reconstruction du Monde. Seurat, que suivent Signac et Cross, inaugure les recherches d’un art plus exactement scientifique. Paul Gauguin (1848-1903) retrouve à Tahiti un nouvel exotisme et le sens de la synthèse. C’est de lui, de Cézanne et de Van Gogh que procèdent, à leurs débuts, les Fauves : Friesz, Manguin, Marquet, et le plus original, Henri Matisse, de plus en plus orienté vers les formules libres et les plus rares vérités de la couleur. Vuillard, dans des gammes fondues et sourdes, Bonnard, avec des tons nacrés et des rapports aigus ; Piot, Roussel, Puy, Dufrénoy expriment l’aboutissement précieux de cet âge. Cependant que Vlaminck, le Fauconnier et Segonzac remontent, par les Flamands, les Hollandais, ou leur tempérament propre, au réalisme de Courbet et que d’autres reviennent au classicisme par l’éclectisme.

D’ailleurs les ardentes divisions qui mirent en lutte les « partis » de la peinture, dans les premières années du xixe siècle, disparaissent peu à peu, en même temps que disparaissent les résistances des tenants de la vieille académie. Des hommes du « centre » pourrait-on dire, Charles Cottet, Lucien Ménard, Albert Besnard, Aman Jean participent aux mêmes expositions que les Fauves. Le Suisse Félix Valotton fut, avant la lettre, avec un souci serré de la forme et des valeurs tactiles, un rénovateur du classicisme. Les théories surtout de Maurice Denis aidèrent ce mouvement.

Le mouvement cubiste fut une réaction violente à la fois contre les tendances et contre l’esprit de l’impressionnisme et de toute la peinture antérieure. Jamais révolution plus complète d’un idéalisme plus absolu ne fut tentée contre la nature. En dépit des variétés d’aptitude de Picasso, du talent de Brague, le cubisme n’a réussi qu’à orienter, dans un sens expressif par sa simplicité même, la décoration moderne et l’art de la publicité.

Désormais, il n’y a plus, en peinture, d’écoles locales. Paris est le creuset où convergent et se fondent toutes les tendances. Seule l’école allemande, issue, à travers Corinth, des romantiques, a une vitalité propre, moins picturale que graphique, avec des artistes expressifs, Pechstein, Nolde, Grosz. Les tendances expressionnistes ne sont pas sans influence sur les Belges contemporains : Permeck ou Masereel. Mais la Belgique, l’Angleterre centrale, la Hollande et le Japon même vivent du même foyer international et à leur tour l’alimentent.

Nous n’avons rien dit, au cours de cet exposé incomplet, des écoles extrême-orientales. Leur examen, fort différent de celle des artistes de mentalité européenne, exigerait une préparation et des préambules qui excéderaient cette étude. Mais ce que nous avons dit, en débutant, des caractères généraux et du rôle de l’œuvre d’art comme expression d’une race ou d’un individu, s’applique aussi bien à ces formes d’art qu’à celles qui nous sont plus habituelles, qui, d’ailleurs, ont subi en maintes époques, et en particulier à la fin du xviiie, puis autour de 1880, l’influence des Asiatiques. Actuellement, il faut noter aussi l’attraction exercée sur les artistes par les styles nègres et polynésiens, attraction moins due à une pénétration profonde et