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les autres ; elle n’est qu’un service ; elle n’est que l’enregistrement d’ensemble, et comme le contrôle général des attributions divisées, des responsabilités éparses.


Les collaborateurs. — Nos collaborateurs ne sont ni appointés, ni salariés. Toutes les fonctions, à la Ruche, sont absolument gratuites. Salaire, traitement, avenir, avancement y sont choses totalement méconnues. Les camarades qui, à des titres divers, travaillent à la Ruche, le font de la façon la plus désintéressée. Chacun d’eux doit pourtant réunir des conditions de capacité, d’assiduité au travail, de sobriété et de moralité qui lui permettraient, à l’extérieur, de se hausser au niveau des plus favorisés de sa partie. Nos collaborateurs renoncent volontiers à ces avantages matériels pour vivre à la Ruche.

Ce n’est pas qu’ils y travaillent moins et y mènent une existence plus confortable : ils travaillent, au contraire, beaucoup plus qu’ils ne travailleraient : instituteurs dans une école, travailleurs manuels dans une usine, dans un atelier ou aux champs.

Certes, ils sont nourris, logés, chauffés, éclairés, entretenus comme le sont tous les membres d’une même famille ; mais ils se contentent, sous tous ces rapports, d’un régime fort modeste. Il leur est loisible aussi, d’avoir quelque argent de poche ; ils puisent, à cet effet, dans la caisse commune, et y prennent ce dont ils ont besoin, sans avoir à en justifier : ils sont et restent seuls juges des besoins qu’ils ressentent, et je suis heureux de dire, à la louange de tous, que depuis près de dix ans que la Ruche existe, tous nos collaborateurs y ont apporté la plus grande discrétion et la plus méritoire réserve, de façon à peser le moins lourdement possible sur notre budget. On le voit : les avantages matériels attachés au titre de collaborateur de la Ruche sont plutôt minces. Et pourtant, nul ne songe à se plaindre ; tous travaillent avec ardeur et contentement, en se consacrant à cette œuvre, parce qu’ils goûtent des satisfactions morales et des joies du cœur qui compensent largement les avantages auxquels, de propos délibéré, ils renoncent.

Plus d’une fois, il m’a été dit : « Mais alors, c’est comme dans une Communauté religieuse ? » — Pas du tout ; la comparaison ne saurait se soutenir. D’abord, les collaborateurs de la Ruche ne sont liés par aucun vœu, ne sont tenus par aucun engagement ; libres ils sont, et à tout instant, de partir s’ils s’y déplaisent, ou s’ils espèrent être plus heureux ailleurs ; ensuite, ils ne subissent aucune autorité et n’ont a obéir à aucun supérieur ; de plus, ils choisissent eux-mêmes, en toute indépendance, leur travail et l’exécutent comme ils l’entendent ; enfin, ils sont véritablement désintéressés, car ils ne croient pas au Ciel, tandis que les membres des Communautés religieuses, s’ils renoncent à toute rétribution ici-bas, ont la conviction qu’ils recevront, plus tard, après leur mort, le salaire incomparable de leurs travaux, de leurs mortifications et de leur obéissance. Les religieux ne sont, au fond, que des usuriers : ils avancent un pour recevoir mille. Ils ne sont que d’habiles spéculateurs qui placent l’argent de leur austérité dans l’entreprise la plus avantageuse ; ils abandonnent l’intérêt de cet argent durant dix, vingt ou cinquante ans ; mais ils espèrent bien que, durant l’éternité, ils rentreront des milliers et des milliers de fois dans leur capital.

Il arrive que, à certaines époques, nous avons besoin de nous adjoindre quelques collaborateurs temporaires ; par exemple, quand il y a un grand nombre de chaussures à réparer, des travaux de maçonnerie à exécuter sans retard, ou encore, au printemps, dans les jardins ou, à l’époque des moissons et des foins, dans les champs, quand il y a un coup de collier à donner. Nous faisons appel, dans ces cas, soit à des amis particuliers de la Ruche, soit à nos camarades des syndicats

parisiens, qui ne nous refusent jamais le coup de main nécessaire, et ces collaborateurs temporaires viennent, eux aussi, sans rétribution d’aucune sorte.

Tous les services sont autonomes ; chaque collaborateur connaît les attributions et les responsabilités qui s’attachent à la fonction qu’il exerce. Tous s’en remettent à la capacité et à la conscience de chaque responsable.

Une fois par semaine, plus fréquemment, si le besoin s’en fait sentir, tous les collaborateurs se réunissent le soir venu, la journée terminée, quand les enfants sont au lit. Ceux de nos grands enfants qui, âgés de 15, 16 et 17 ans, sont en apprentissage, assistent à ces réunions et y prennent part au même titre que les collaborateurs eux-mêmes. Ces réunions ont pour objet de resserrer les liens qui nous unissent et de nous entretenir de tout ce qui intéresse la Ruche. Chacun dit ce qui le préoccupe, fait part du projet qu’il a formé, de l’idée qu’il a eue et soumet cette idée, ce projet, cette préoccupation aux autres. On en parle ; on en discute ; on laisse l’idée ou le projet à l’étude si on ne possède pas encore les éléments suffisants à une détermination. Chacun a le droit de se renseigner sur le fonctionnement de tel service : enseignement, caisse, comptabilité, cuisine, etc., etc., de formuler des observations, d’émettre des conseils, de proposer des améliorations. Grâce à ces réunions fréquentes, tous nos collaborateurs et nos grands enfants (garçons et filles) sont mis et tenus au courant de tout ce qui se passe, connaissent constamment la situation de la Ruche, participent aux décisions prises et concourent à leur application. C’est la vie au grand jour ; c’est la pleine confiance ; c’est l’échange de vues, simplement, franchement, à cœur ouvert. C’est le moyen le plus sûr et le meilleur de prévenir les intrigues et la formation des coteries que favorise le silence.

L’éducation est plus particulièrement confiée à ceux de nos camarades qui, chargés de l’enseignement, sont en rapports constants avec les enfants. Ceux-là passent leur vie avec ces enfants, et il est certain que, constamment mêlés à ceux-ci, ils exercent sur eux une grosse influence. Il n’en est pas moins nécessaire que tous les collaborateurs de la Ruche soient des éducateurs. D’une part, tous sont plus ou moins appelés à initier nos enfants, au fur et à mesure qu’ils grandissent, à la technique de leur métier : cuisine, couture, lessive, lingerie, forge, menuiserie, culture, jardinage, etc., etc. ; d’autre part, ils sont souvent mêlés aux jeux, aux distractions de nos enfants. Il faut donc qu’ils soient un exemple vivant et un guide pratique, patient, doux et affectueux pour ces petits, comme, dans la famille, tous les aînés doivent être pour les plus jeunes des guides et des modèles.


Nos enfants. — La Ruche élève une quarantaine d’enfants des deux sexes. Comment ils nous viennent ? Oh ! De la façon la plus naturelle et sans qu’il soit utile que nous les recherchions. Ce sont des situations intéressantes qui se signalent elles-mêmes ou que des organisations et des amis nous font connaître et nous recommandent. Hélas ! Ce ne sont pas les enfants qui manquent !

Le sort des travailleurs est souvent si lamentable, la famille ouvrière est si déplorablement détraquée par la maladie, le chômage, l’accident ou la mort : les querelles intestines ravagent si fréquemment le milieu familial, querelles dont l’enfant devient l’innocente victime, que cent Ruches, mille Ruches, pourraient être rapidement peuplées de petits à abriter et à éduquer. Nous en avons déjà refusé plusieurs milliers ; nous sommes dans la nécessité d’en refuser tous les jours et, la Ruche étant de plus en plus connue, nous sommes appelés à en refuser chaque jour davantage.

Que de lettres éplorées nous parviennent ! C’est la