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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/51

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PEN
2017

c’est-à-dire l’incorpore à sa personne aux fins d’utilisation d’instrument d’un acte ou immédiat ou différé.

La contemplation que l’activité n’accompagne pas aboutit à l’anéantissement de l’être. Toutes les démarches de notre esprit peuvent se représenter par la même formule, symbole d’expansion, de mouvement et non de contrainte, d’immobilité. — G. Goujon.

PENSÉE (la libre). Il existe, chez beaucoup de militants d’extrême avant-garde, une sorte de prévention contre la Libre Pensée. Non pas, certes, contre son idéal ou ses conceptions, mais contre le groupement en lui-même. On commence pourtant à s’apercevoir que l’organisation est nécessaire — et presque indispensable — dans tous les domaines de l’action. Sans organisation, il est bien difficile de coordonner les efforts, de les intensifier, de travailler avec méthode et d’obtenir des résultats durables et féconds. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la Libre Pensée, c’est-à-dire pour l’action anticléricale et antireligieuse ? Si le groupement a fait la preuve de son utilité sur les terrains coopératif, syndical, politique, pourquoi ne serait-il pas appelé à rendre également des services aux adversaires des Églises ? Leur besoin de s’associer devrait être, au contraire, d’autant plus vif, qu’ils ont à combattre un adversaire très puissant, très riche et surtout très discipliné.

L’Église romaine, en particulier, tire les trois quarts de sa force de son organisation autoritaire et de sa hiérarchie sévère. Ses dogmes puérils et ses légendes grossières se seraient écroulés depuis longtemps, si les croyants et les prêtres n’étaient aussi savamment embrigadés. Il est un peu enfantin d’imaginer que l’on pourra venir à bout d’un tel adversaire sans se grouper et sans s’organiser.

Certains diront : « Je n’ai pas besoin des prêtres ! J’ai perdu la Foi. Je n’éprouve nul besoin de fréquenter les églises. Cela me suffit. À quoi bon « faire de la Libre Pensée » ? Je laisse le croyant libre, puisque je suis moi-même libre de ne pas croire… » Il faut se rappeler deux choses : 1° Nous ne prétendons nullement gêner ou amoindrir la liberté du croyant. Nous voulons le convaincre, l’éclairer et non le violenter ; 2° la liberté de l’incroyant (très relative au surplus !) restera précaire et menacée aussi longtemps que la société sera ce qu’elle est. Les incroyants ne doivent pas oublier que leur liberté est sans cesse limitée et combattue, que l’Église est intolérante par principe et par nécessité. Pendant des siècles, les athées et les penseurs libres n’ont-ils pas été contraints de se plier devant des dogmes et des coutumes que leur conscience avait rejetés ?

Et puis, lorsqu’on a compris que la religion est fausse, que le fanatisme est malfaisant, comment ne pas éprouver le besoin de faire du prosélytisme et de répandre les vérités que l’on a découvertes, afin de les propager et d’en faire bénéficier son semblable ?

Ce sont ces considérations qui ont conduit les libres-penseurs à s’organiser. Les premières sociétés de LibrePensée ont été fondées, en France, il y a une soixantaine d’années (c’est à la fin du Second Empire que le mouvement libre-penseur et anticlérical se développa sérieusement, dans la presse indépendante et plus tard par les groupements), au moment où la liberté d’association commença à ne plus être tout à fait un vain mot. À ce moment surtout, elles étaient nécessaires. L’un de leurs premiers soucis fut d’obtenir la liberté des funérailles (sanctionnée seulement par la loi de 1887) et d’organiser, dans des conditions parfois très difficiles, les premiers enterrements civils. Les sociétaires tenaient à honneur d’assister en nombre aux obsèques de leurs collègues décédés, résistant aux manœuvres de pression, d’intimidation et quelquefois même de violence et de persécution, que les cléricaux exerçaient sur les familles, particulièrement dans les campagnes.

Les groupes de Libre Pensée ont rempli un rôle bienfaisant. Ils ont travaillé et préparé les esprits, très activement, pendant les trente années qui ont précédé la guerre. C’est, dans une large mesure, grâce à leur activité, que la superstition a perdu du terrain, que les lois laïques ont pu être votées, que la puissance de l’Église fut (trop légèrement, hélas !) battue en brèche.

Je ne veux pas insinuer, en parlant ainsi, que l’action des Sociétés libres-penseuses ait toujours été intégralement admirable, et irréprochable. Comme tous les autres groupements, même les plus révolutionnaires, la Libre Pensée a servi souvent de tremplin électoral. Nombre d’arrivistes l’ont utilisée comme un marchepied — et se sont empressés de l’oublier, voire de la trahir, dès qu’ils eurent décroché la timbale ! L’un des plus illustres exemples à invoquer est celui de M. Henry Bérenger, collaborateur de Victor Charbonnel aux temps héroïques de la Raison et de l’Action, vigoureux et talentueux militant anticlérical, devenu un des plus cyniques caméléons du Sénat, associé aux trafiquants de la Haute Banque et acoquiné aux représentants de la pire réaction.

Ainsi que notre regretté ami Brocher l’a exposé dans une précédente et substantielle étude, les groupes de Libre Pensée n’ont consenti que lentement, difficilement, à se rassembler dans une même fédération nationale. On se contentait de s’unir dans une localité, ou dans un canton, et l’on ne regardait guère plus loin, ni plus haut. Les réunions étaient rares, la propagande nulle. Un banquet de temps à autre, et particulièrement le vendredi dit saint, en guise de légitime protestation contre un usage inepte, quelques conférences publiques… Très peu de bibliothèques, très peu de propagande éducative par la brochure, le livre ou le tract (à part quelques exceptions).

Il faut reconnaître que, depuis la guerre, la Libre Pensée a évolué d’une façon plutôt heureuse. Au lendemain de l’armistice, elle était complètement désorganisée, désagrégée. D’abord, parce que la plupart des militants avaient été mobilisés ou dispersés par les événements. Les Sociétés avaient cessé de se réunir et de fonctionner, et, quand la tuerie eut pris fin, il fut très difficile de regrouper les éléments épars. La difficulté fut d’autant plus grande que la Libre Pensée avait à lutter contre un préjugé tenace et dangereux. La guerre avait passé, avec son « Union Sacrée ». Les querelles religieuses paraissaient périmées. Le vent était à l’apaisement, à la concorde. Nul ne consentait à réveiller le combisme, en dépit des avertissements des rares libres penseurs qui n’avaient pas oublié les leçons de l’histoire.

L’Église travaillait inlassablement à reconquérir ses privilèges. Elle noyautait l’enseignement avec ses infectes « Davidées ». Elle intriguait au Parlement pour la non-application des lois laïques, en attendant leur abrogation. Le rétablissement de l’ambassade au Vatican, le vote de la loi liberticide contre les néo-malthusiens, le retour des Congrégations (retour illégal, mais complaisamment toléré par les gouvernements complices), le maintien du régime concordataire et de l’enseignement confessionnel en Alsace, autant de succès pour la politique vaticanesque, laquelle s’évertuait, d’autre part, à leurrer les masses populaires et à désarmer les légitimes méfiances dont elle était l’objet, en jouant la comédie de la démocratie chrétienne, en condamnant l’Action française, en affirmant son amour de la Paix, de la Justice et de la Liberté et en créant la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et les Syndicats Catholiques !

Malgré tout cela, la plupart des politiciens persistaient à nier l’évidence et se refusaient à reprendre le salutaire et indispensable combat contre les exploitants de la crédulité. Lisez les professions de foi et les programmes des candidats, cette année encore, et vous pourrez constater que l’anticléricalisme (ou la « défense