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siste que le crime d’enlèvement d’enfants, puni par les articles 354 et suivants du Code pénal français actuel. Le plagiat, dans son acception moderne, est considéré par le Code comme une atteinte à la propriété, sous le titre de « contrefaçon littéraire et artistique », et assimilé à la contrefaçon industrielle. C’est un délit qui relève des articles 425 et suivants du Code pénal. En fait, pour que le juge sévisse, il faut qu’il y ait justification d’un préjudice matériel résultant de la contrefaçon. Un plagiaire peut très bien être acquitté, bien qu’ayant commis le plagiat le plus manifeste, s’il est établi qu’il n’est pas résulté un préjudice de son larcin ; il peut même faire condamner celui qui, publiquement, lui a appliqué l’épithète de « plagiaire » bien qu’il la méritait, le mot étant un outrage, suivant la décision de la Cour de Montpellier du mois de mai 1929.

On était plus sévère, jadis, pour les voleurs littéraires. Au moyen âge, un nommé Fabre d’Uzès, qui s’était approprié les œuvres d’Albertet de Sisteron, après la mort de celui-ci, et les avait publiées sous son nom, fut pris et fustigé suivant la « loi des empereurs ». Depuis, la loi s’est faite plus indulgente. On a vu tant de personnages faire leur fortune académique par des larcins de cette espèce, qu’on est devenu beaucoup plus complaisant. Il y a à peine quelques années, on a décoré de la Légion d’honneur M. Ferdinand d’Orléans, duc de Montpensier, qui avait publié sous son nom et sous le titre : Notre France d’Extrême-Orient, avec une belle préface de M. le Myre de Vilers, député de la Cochinchine, un ouvrage pillé dans celui de deux fonctionnaires, MM. Russier et Brenier, intitulé : L’Indochine française. Sous Louis-Philippe, Eugène Bareste avait été décoré et chargé par le gouvernement d’aller « rechercher les choses homériennes », à la suite de la publication qu’il avait faite d’une traduction allemande de l’Iliade et l’Odyssée qu’il s’était appropriée. M. Arsène Houssaye fut honoré des faveurs ministérielles quand il publia une Histoire de la peinture flamande et hollandaise dont le texte et les planches étaient empruntés à d’autres. Le gouvernement de Louis-Philippe avait une excuse, il ignorait les plagiats révélés plus tard ; mais ceux qui ont décoré le duc de Montpensier n’ignoraient pas qu’il n’était qu’un plagiaire de la plus laide catégorie. Un autre plagiaire royal fut Joseph Bonaparte, ex-roi des Deux-Siciles et d’Espagne, qui fit rééditer sous son nom un poème historique d’un nommé Lorquet sur Napoléon. L’histoire fut racontée sous le titre : Le roi couvert des dépouilles du poète.

Au xviiie siècle, l’académicien Ripault Désormeaux devait ses travaux historiques à Dingé. Petit Radel avait fait paraître, avec sa signature, des notices de Teillac. Dupré de Saint-Maur, voulant avoir des droits à l’Académie Française, publia une traduction du Paradis Perdu, qui était de l’abbé de Boismorand. Au xixe siècle, un prétendu orientaliste, Langlés, a fait sa réputation en plagiant de nombreux ouvrages, ceux entre autres de Galland. L’académicien Etienne a plagié une pièce de collège, Conaxa, dans la comédie Les Deux Gendres. Louis de Bacher, membre de l’Institut, prit intégralement un de ses ouvrages dans un de ceux du comte de Neny. Certaines œuvres de Victor Cousin sont d’autres auteurs que lui. La traduction de Thomas Reid, signée de Th. Jouffroy, fut le travail de Garnier. Les éloges académiques prononcés par Dacier furent écrits par des secrétaires. Baour Lormian a publié, sous son nom, des ouvrages de Buchon et de Lamothe-Langon, celui-ci fabricant d’apocryphes et mystificateur professionnel. La vanité et le lucre, dans lesquels Quérard voyait les mobiles de ces usurpations de réputation, se sont ainsi manifestés trop souvent parmi l’engeance académique. Et la tradition persiste. De nos jours, le maréchal Foch, avec ses mots historiques, et M. Pierre Benoît, dans ses romans, l’ont brillamment continuée.

Il y a relativement peu de plagiats au sens littéral du mot, c’est-à-dire d’appropriation textuelle de la production d’autrui. Il faut être un prince, pour qui « tout ce qui est national est nôtre », pour la pratiquer avec la désinvolture d’un Bonaparte ou d’un Montpensier. Mais le plagiat qui va du simple emprunt plus ou moins déguisé jusqu’au tripatouillage le plus éhonté est innombrable.

S’il n’y a pas une unique origine à la pensée comme à l’espèce humaine, il y a une unité de la pensée des hommes. Il n’est pas douteux que son expression est limitée et que depuis longtemps elle a presque tout dit de ce qu’elle avait à dire. Elle a même tout dit, si l’on en croit La Bruyère, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et ils sont tous des plagiaires. Malgré ce, cette pensée, ou du moins ce qui est présenté comme tel et n’en est pas une infâme caricature, n’a pas arrêté sa production et prétend toujours apporter du nouveau. De plus en plus, l’humanité parle et écrit. Elle n’a jamais fait tant de discours, imprimé tant de livres et de journaux qu’aujourd’hui. Aussi, chaque jour découvre-t-on que l’idée, le récit, la mélodie, le tableau, la statue, le monument qu’on croyait de l’invention de tel ou tel auteur, a existé avant lui, qu’il n’a fait que recommencer mieux ou plus mal l’œuvre d’un prédécesseur, et on découvre aussi que toujours plus en arrière, ce prédécesseur en avait eu d’autres. On a ainsi établi des chaînes, des filiations d’œuvres dont les sources sont toujours plus reculées vers une origine qui semble avoir été celle d’un système de pensée commun à tous les hommes, quels qu’aient été le lieu et l’époque de leur apparition sur le globe. Comment contester cette origine quand on retrouve sur les plateaux du Tibet, parmi des populations qui n’ont jamais eu aucune relation avec le monde occidental, les fables des Contes de Perrault ? (Voir Littérature.) Est-il une seule pensée de la philosophie la plus moderne qui ne se retrouve pas dans les lointaines Védas composées il y a plus de cinq mille ans ? Les migrations ne suffisent pas à expliquer cette origine puisque, dans le monde entier, les mêmes légendes, à peine déformées par les différences de milieux et de mœurs, se répètent chez les peuples de races les plus diverses.

Mais il y a à distinguer entre ce que Corneille appelait des « concurrences », qui sont les rencontres d’idées communes à l’espèce et font qu’un La Rochefoucauld dira, cinq mille ans après un ancien brahmane : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », et le plagiat que La Rochefoucauld a très probablement commis en prenant cette idée dans Cervantès, après que Cervantès lui-même l’eût prise à un de ses devanciers. Il y a entre les deux choses tout ce qui constitue ce que S. Zweig, dans son ouvrage sur Freud, a appelé : la création, « ce don de voir des choses archi-vieilles et immuables comme si jamais ne les avait illuminées l’étoile d’un œil humain, d’exprimer ce qui fut dit mille fois avec autant de fraîcheur virginale que si jamais la bouche d’un mortel ne l’avait prononcé ».

Il y a aussi à distinguer entre le plagiat consistant à prendre les idées des autres pour en faire une œuvre nouvelle, leur donner des développements plus complets, une forme plus parfaite, pour les mettre en lumière et les répandre alors qu’elles étaient perdues, cachées dans une gangue obscure, et le plagiat appropriation vulgaire de celui qui se croit très habile en déposant son nom, comme une crotte, sur le livre, le tableau ou la symphonie d’un autre. Les hommes qui disparaissent laissent à ceux qui les suivent un héritage de pensée et d’art comme ils leur laissent tous les produits, toutes les richesses de leur travail, de leur invention, de leur habileté, pour qu’à leur tour ils les fassent valoir et les perfectionnent avant de les transmettre à leurs successeurs. C’est la marche du progrès. C’est par elle que nous ne vivons et que nous ne pen-