Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PLU
2063

lorsque le seigneur, propriétaire du sol, dicte sa loi aux manants. Ploutocratie dans les nations modernes, lorsque le capitaliste impose sa volonté aux travailleurs : « Le capital est un seigneur qui engloutit tous les bénéfices et le travail un esclave qu’on force à soulever des montagnes » (Pecqueur). Ploutocratie partout, car la concentration capitaliste a abouti à remettre entre les mains de quelques corsaires de haut vol toute la richesse accumulée. Et, cependant, combien de naïfs s’imaginent vivre en démocratie ! Combien ont cru à la « nuit du 4 août », à la « souveraineté du peuple », à la libre « expression de la volonté nationale » ! « Plus de privilèges, la loi égale pour tous. » Quelle duperie ! Il faut dire pourtant que ces naïfs-là sont de moins en moins nombreux : la multiplicité des scandales financiers, l’application de plus en plus fréquente de l’adage :

« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »

ont ouvert les yeux des plus crédules de nos contemporains. Partout, il faut subir « la loi du riche ». Et, nous référant à S. Faure (La Douleur universelle), nous citerons Necker qui disait : « Toutes les institutions civiles ont été faites par les propriétaires. » Et Turgot : « Partout les plus forts ont fait les lois et ont accablé les faibles. » Lamennais écrivait aussi : « Ce qu’il a plu aux maîtres d’ordonner, on l’a nommé Loi et les lois n’ont été, pour la plupart, que des mesures d’intérêt privé, des moyens d’augmenter et de perpétuer la domination et les abus de la domination du petit nombre sur le plus grand. » (Le Livre du Peuple), etc… Dans le même livre, S. Faure a lumineusement démontré comment la soi-disant démocratie aboutit en réalité à une ploutocratie occulte. Et chacun sait que, derrière le « peuple souverain », derrière les quelques centaines de pantins qui disent le représenter, il y a le « mur d’argent » : une poignée de magnats de la Banque et de l’Industrie qui sont les maîtres réels des peuples. Que le gouvernement soit une royauté ou une république ; qu’un Alphonse XIII soit remplacé par une démocratie ; qu’un bloc, dit « des gauches » s’installe au pouvoir, à la place d’un autre bloc dit « des droites » ; que X… se mette là où était Z…, ou vice-versa, qu’y a-t-il de changé pour le prolétaire ? Demain, il lui faudra offrir ses bras pour vivre tout comme avant, et les politiciens rouges ou blancs qui se succèdent sur le tréteau sont là pour le berner par leurs pirouettes. Sur la vie misérable du travailleur se projette l’ombre écrasante du coffre-fort. Et, dans la coulisse, sont les ploutocrates, vrais rois de l’heure, dictateurs puissants entre les mains desquels se trouvent les vies de millions d’humains. — C. B.


PLURALISME n. m. (de plures, pluralis : plusieurs). En face de la métaphysique, il y a deux positions classiques. Sceptiques, positivistes, agnostiques repoussent toute métaphysique. Mais le dogmatique adopte une doctrine et combat pour elle comme pour la vérité absolue. Aucune de ces deux positions ne me convient.

N’y a-t-il aucun moyen de subir la victoire légitime du positivisme, critique de mes pouvoirs, sans sacrifier des désirs qui me tourmentent et me réjouissent, richesses instables ? La métaphysique ne saurait devenir science. Pourquoi n’aimerais-je pas en elle le plus séduisant et le plus décevant des poèmes ?

Mais, si la métaphysique me paraît poésie, je n’ai aucune raison d’adopter un système jusqu’à condamner les autres. Je veux continuer à jouir, alternatif, de tous les poèmes métaphysiques. Un plaisir à quoi je ne renonce pas en créant mon poème, c’est celui d’aimer les poèmes différents…

Le positivisme m’a enseigné que nulle métaphysique n’a de prise sur le monde extérieur, sur le monde

objectif ; mon expérience m’a appris qu’aucune ne satisfait non plus à tous mes besoins intérieurs, à tous mes besoins subjectifs… Parmi les besoins poétiques qui dominent en moi, les plus considérables appartiennent peut-être à l’ordre logique et à l’ordre sentimental. Vais-je établir entre eux une hiérarchie ?…

Ma petite logique, tu es, si j’ose dire, une grande maîtresse d’erreur. En métaphysique, je m’appuie sur toi pendant une longue marche, où chaque pas a neuf chances sur dix de m’égarer. Les raisons que la raison ne connaît pas, ces raisons du cœur que vante Pascal, sont aussi trompeuses que la logique. De n’importe quel point de départ commun, la logique et le cœur nous peuvent entraîner vers des régions singulièrement diverses…

Une métaphysique est œuvre personnelle comme un poème. L’imposer est folie sacerdotale ; la proposer, naïveté paternelle. Il faut se contenter de l’exposer… Quel genre de poésie est la métaphysique ? Dans ma jeunesse, je déclarais déjà qu’il n’y avait pas de métaphysique vraie, mais j’ajoutais que toute vraie métaphysique tendait vers un monisme. J’appelais la métaphysique « la poésie de l’unité ». Je suis moins exclusif aujourd’hui et moins injuste. A côté de la blonde poésie de l’unité, j’aime la brune poésie de la dualité et du combat ; je ne méprise pas la châtaine poésie de la conciliation. Et pourquoi repousserais-je toujours la poésie de l’infini ? Mais la métaphysique que j’embrasse le plus souvent et d’un amour plus étroit, il me semble qu’elle est sens et poésie de la diversité… Au pluriel, c’est au pluriel qu’il faut parler des monismes, des dualismes, des ternarismes, des infinitismes, des pluralismes.



Dans les doctrines historiques, on pourrait considérer en souriant comme un monisme relativement absolu, le système des Eléates. Le monisme des Eléates se résume dans la fameuse formule : « L’Etre est ; le Non-Etre n’est pas. » Si l’être est d’une façon absolue et si, d’une façon absolue, le non-être n’est pas, voici niées toutes les épousailles du non et du oui, toutes les limites et les choses limitées, toutes les apparences, c’est-à-dire, je le crains, toutes les réalités. Voici nié le changement et les choses changeantes, le mouvement et les moteurs et les mobiles. Admettre un tel monisme, c’est supprimer l’expérience et ses objets, c’est ne voir dans les phénomènes et dans ce que nous appelons d’ordinaire êtres ou choses que tromperies ou illusions. C’est déclarer que rien de ce qui nous est apporté par nos sens n’a aucun l’apport avec la vérité profonde et l’être unique…

Ce puissant monisme d’éternité et d’immobilité est remplacé aujourd’hui par deux pauvres monismes évolutifs dont je dirais volontiers que l’un est futuriste et l’autre passéiste. Au xixe et au xxe siècle, nul philosophe connu n’ose nier la multiplicité actuelle. Mais on sauve l’unité en la plaçant soit à l’origine, soit à la fin des choses.

Le monisme passéiste, l’unité placée à l’origine des choses, est la métaphysique à quoi aboutit la doctrine spencérienne. Spencer voit la vie et l’univers même comme un progrès fatal. Ce progrès il le définit une différenciation de plus en plus grande, une hétérogénéisation croissante des phénomènes et des êtres. Avec lui nous remontons, dans le temps, à une époque où l’homogénéité était absolue. Pour la réfutation du monisme passéiste, qu’on me permette de renvoyer au livre capital sur la question, Le Pluralisme de J.-H. Rosny aîné.

Qu’on cherche aussi dans ce livre la réfutation du monisme contraire, le monisme futuriste qui admet la multiplicité dans tout le passé comme dans le présent,