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ainsi que souvent ils triomphent de leurs exploiteurs et imposent leurs revendications.

Il en est de même des coopérateurs de production ou de consommation. Ils sont également des solidaristes en action, des solidaires effectifs puisqu’ils pratiquent la solidarité.

Il n’est pas une grève, en France et ailleurs, c’est-à-dire partout où il y a des hommes assujettis à l’exploitation, où la solidarité ne soit mise en action : solidarité des grévistes entre eux ; solidarité des travailleurs de toute la corporation, de toute la localité et même de toutes les corporations et de toutes les localités et, parfois, de tous les travailleurs organisés d’une nation. Souvent aussi la solidarité internationale s’exerce en faveur de grévistes, même avant que ceux-ci y aient fait appel. Des secours arrivent de partout et les grévistes obtiennent gain de cause par leur courage, leur endurance dans la lutte et surtout par la solidarité de tous travailleurs. On n’en finirait pas de citer des exemples ou des souvenirs de solidarité en action. Toute l’histoire de la classe ouvrière en est parsemée. Il n’est pas un militant syndicaliste qui ne puisse narrer les miracles accomplis par la solidarité des ouvriers entre eux.

Qui ne se souvient des grèves de Fougères ?

Les ouvriers de la chaussure, en 1906, se révoltèrent collectivement contre les exigences des gros patrons Fougères. Ceux-ci n’avaient pas voulu accorder, aux ouvriers qui travaillaient à certaines machines, les salaires équitablement établis par le syndicat. Ils les menacèrent d’un lock-out… Car les patrons étaient fortement organisés ; les plus riches imposaient aux autres, moins puissants et moins exigeants, leur arbitraire volonté.

Ce fut donc la grève. Elle éclata naturellement au début de l’hiver (5 novembre). Les patrons savent toujours choisir la saison pour entrer en guerre contre ceux qui les entretiennent et les enrichissent. La misère fut grande. Les commerçants, au début, firent crédit à cette population ouvrière. Mais cela dura peu. La grève continuait et les secours arrivaient de partout, mais les grévistes étaient nombreux. La solidarité en action s’exerça de façon touchante dans toutes les organisations ouvrières du pays. Les appels de la Confédération Générale du Travail furent compris du prolétariat pour la grève de Fougères, comme ils l’avaient été pour d’autres grèves aussi importantes. De leur côté, les grévistes organisaient la résistance, les militants se prodiguaient, les encouragements ne manquaient pas, ni les magnifiques initiatives. Les grévistes, par milliers, défilaient chaque jour dans les rues de Fougères avec leurs drapeaux rouges, en chantant l’Internationale et d’autres refrains comme celui-ci :

Groupons nos forces solidaires,
Défendons noire dignité ;
Car, en défendant nos salaires,
Nous défendons la Liberté !

Hommes, femmes, enfants se soulageaient ainsi, se donnaient mutuellement confiance en clamant leurs espoirs à la face des gendarmes à pied et à cheval protégeant les usines et les propriétés, rassurant les exploiteurs. Mais les soldats entendaient et voyaient, eux, qui n’avaient pas fait serment de massacrer père et mère, si on le leur commandait. Peut-être des idées de solidarité germaient en leur cerveau… De malheureux garçons de vingt ans apprenaient, faisaient leur éducation sociale en pleine lutte de classes, malgré eux.

Les enfants n’apprenaient pas seulement les chansons des grévistes, qu’ils entendaient de l’école : ils apprenaient la vie, la vie des travailleurs autrement que celle qu’on leur apprend dans les livres de lecture de l’enseignement de l’école religieuse ou laïque. Ils pro-

fitaient aussi de l’enseignement et de la propagande par le fait qu’était la belle initiative de l’organisation des soupes communistes, ce rayon actif de solidarité collective et pratique dans les grèves.

Sous un grand baraquement édifié gracieusement par les ouvriers du bâtiment, aidés des grévistes, des marmites immenses furent installées. On y ajouta des plats, des ustensiles de cuisine, et les femmes, courageusement, se mirent à l’œuvre avec entrain. Des équipes furent formées rapidement pour recueillir ce qu’il fallait pour mettre dans les marmites et faire cuire la soupe et le bœuf, les pommes de terre, les haricots, le riz, etc… que des donateurs aidaient à acheter ou à fournir. Car elle était sympathique à tous la lutte des ouvriers cordonniers de Fougères. Quelques débrouillards parmi les grévistes s’improvisaient cuistots et faisaient d’excellente cuisine. Les femmes s’enthousiasmaient et s’ingéniaient à être utiles. Il y avait pour tous, deux repas par jour : de 10 h. à 11 h. 15 le matin, et de 5 à 6 heures le soir. On comptait, chaque jour, 4.200 soupes ou portions. Avec cela, les grévistes ne mourraient pas de faim. Ce n’était pas l’abondance, mais plutôt la privation. Hommes et femmes savaient supporter sans plainte toutes les rigueurs de la situation. Ils ne souffraient que pour les enfants. On mangeait bien et on mangeait bon, et surtout on mangeait chaud. Tout cela était appréciable pour tenir jusqu’au bout. Pourtant, ce n’était pas suffisant. Les enfants pâtissaient : il faisait froid, très froid dans la rue et chez soi on grelottait dans la pièce sans feu, sans rien à prendre avant de se coucher… elle était loin la soupe de cinq heures du soir !.. Heureusement, l’initiative des travailleurs n’est pas à court pour manifester son précieux concours dans le rayon de son inépuisable solidarité.

Un soir, les grévistes portèrent chez eux une chaude et réconfortante nouvelle : Rennes et Paris ont décidé de prendre les enfants des grévistes de Fougères, et de les distribuer dans de bonnes familles ouvrières qui les garderont jusqu’à la fin de la grève. Ce fut un départ des enfants vraiment émotionnant, un des plus beaux épisodes, certes, de la grande grève de Fougères.

Remarquons, ici, que cet exode des enfants de grévistes, recueillis par des travailleurs d’une autre localité n’est pas unique. Il y eut d’autres exodes semblables, en Belgique notamment, bien avant cette époque ; à Marseille, en 1910, à la grève des inscrits maritimes, qui dura plusieurs mois, et d’autres encore. Elle est universelle, la solidarité dans le monde des travailleurs !

Ah ! ces départs d’enfants de grévistes ! Ces pauvres petits partant pour l’inconnu, quittant leur famille pour se fondre en d’autres familles de la grande famille ouvrière ; pleurant et riant à la fois, chagrins de quitter momentanément le papa, la maman, mais heureux, au fond, de voir d’autres pères et mères et d’autres frères et sœurs, dans d’autres villes éloignées ; c’est une époque de leur vie, cela.

« C’est le 10 janvier 1907, qu’eut lieu le départ. Toutes les mères étaient à la gare, bavardant, plaisantant même, pour s’encourager l’une l’autre, mais bien émues, toutes, au fond. Elles faisaient aux petits mille recommandations. Mais comme ils étaient tous ensemble et tous hantés de leurs rêves, les petits n’écoutaient déjà plus. La grosse locomotive du train entrait en gare. Baisers, pleurs, mouchoirs agités : quelques minutes plus tard, le train filait à travers les landes bretonnes, vers la grande ville. Pierre regarda longtemps se dérouler les campagnes dénudées par l’hiver. Mais bientôt il se lassa et s’endormit, la petite Jeanne dormant déjà sur ses genoux. Il faisait nuit quand ils arrivèrent à Paris. Ils étaient une centaine environ. Sur le quai inondé de lumière par les lampes électriques, les personnes qui les avaient amenés, de grands cama-