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sons de sa volonté. Et nous ne parlons point de ces mentalités incohérentes, dépourvues soit de frein soit de force impulsive, qui ne constituent pas une personnalité au sens véritable ; nous parlons des individus sainement équilibrés. Parfois, c’est de courage qu’ils manquent. Combien de malheureux sombrent finalement, qui n’avaient point toujours été pusillanimes ! Ne maudissons pas trop la peur de souffrir, elle est à la base de mille inventions utiles et de l’ensemble du progrès ; aux époques favorables, elle incite à prévoir les jours mauvais pour en atténuer les rigueurs. Mais il arrive, et maintes fois hélas ! que la perspective de douleurs, d’avance et faussement jugées insupportables, fasse déserter l’arène sans avoir engagé le combat. Beaucoup s’avèrent les artisans de leur propre défaite ; pareils aux naufragés que l’espoir abandonne, d’eux-mêmes ils desserrent l’étreinte qui les retient à la bouée de sauvetage. Que de belles actions ne furent point faites, que d’œuvres remarquables ne virent jamais le jour, parce qu’une crainte excessive paralysa les muscles, engourdit les cerveaux. Le vrai, le seul vaincu, c’est l’homme qui croit l’être, même dans les fers ; il ne l’est pas, celui qui ignore le découragement.

En effet, la volonté est une force agissante. Insérée dans la trame de nos représentations et de nos désirs, elle les oriente dans un sens que, d’eux-mêmes, ils n’auraient pas. Comme toute cause relative, seule espèce que nous connaissions, elle est dénuée de puissance créatrice et suppose des antécédents : à la règle suprême « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », elle est soumise à coup sûr. Comme toute cause aussi, elle a des conséquents et se prolonge en effets qui, sans elle, ne seraient pas : effets d’ordinaire imprévisibles, tant sont multiples et variables les éléments impondérables qui entrent dans une volition. Sur l’efficacité pratique de notre activité réfléchie, aucun doute n’est possible si, délaissant le vain domaine des abstractions métaphysiques, nous situons le problème dans le plan des données positives. La volonté s’avère facteur primordial dans le déterminisme de la vie : voilà qui suffit pour proclamer sa valeur essentielle, sans recourir à un libre-arbitre inintelligible même pour ses partisans. Et c’est la condamnation d’un épiphénoménisme qui creuse un abîme entre la matière et la pensée, qui, de plus, oublie qu’aucune force ne disparaît si toutes se transforment. Moyen d’action du vouloir sur notre vie mentale, l’attention maintient, au foyer de la conscience claire, les seuls états qui lui agréent. Images, sensations, idées font alors l’objet d’un examen minutieux ; d’où les arts, les sciences, les techniques multiples engendrées par la réflexion. Puis au monde extérieur, tant matériel qu’organique, nous apportons, grâce au mouvement, des modifications conformes à nos désirs. Sur l’univers nous avons prise ; dans les séries causales, il nous est loisible d’introduire des facteurs nouveaux. Ainsi, l’homme peut devenir, du moins en partie, l’artisan de son propre destin. — L. Barbedette.


SOTTISE — La plupart des dictionnaires donnent, comme celui de l’Académie Française, la même signification ou à peu près, aux mots bêtise et sottise.

Bêtise. — « Défaut d’intelligence, de jugement, de bon sens, ou des notions les plus communes. » (Académie Française.)

Sottise. — « Défaut d’esprit et de jugement. » (id.)

C’est à peine si certains des dictionnaires font une distinction entre la bêtise, produit de l’ignorance, et la sottise, produit d’un jugement faux. Littré est un peu plus précis quand, définissant la sottise « défaut de jugement », et la bêtise « défaut d’intelligence et de jugement », il ajoute : « la bête est dans bêtise, tandis qu’elle n’est pas dans sottise ; c’est ce qui distingue ces deux mots. » Cette distinction n’est pas suffisante à nos yeux ; elle laisse trop subsister une confusion volon-

tairement créée et continuellement entretenue dans les esprits, au point que les plus avertis d’entre eux se laissent prendre par une habitude de langage qu’ils n’ont pas assez vérifiée. Or, il est essentiel pour nous, pour tous ceux qui recherchent la vérité et ne veulent pas suivre les directions malfaisantes, de mettre exactement la bêtise et la sottise chacune à sa place, et de ne pas imputer à la première ce qui n’appartient qu’à la seconde.

Tout d’abord, il convient de ne pas confondre l’esprit qui est une façon vive, légère, ingénieuse, de voir les choses et de les exprimer, et le jugement, qui est la faculté de discerner suivant la raison. Très souvent, dans son sens le moins spirituel, celui qui « court les rues », l’esprit manque complètement de jugement. Il en résulte qu’on peut être un sot, tout en ayant beaucoup d’esprit, et qu’on peut n’être pas un sot tout en n’ayant que peu ou pas d’esprit. C’était l’avis de La Rochefoucauld. Quand A. France disait : « Les hommes d’esprit sont des sots. Ils n’arrivent à rien », il pensait aux hommes de véritable esprit, aux hommes d’intelligence, de jugement, de bon sens, qui se heurtent à la sottise, laquelle permet d’arriver à tout. Les bêtes ne sont pas sottes, bien qu’elles soient ignorantes, du moins de la science humaine, et qu’elles n’aient ou paraissent n’avoir que peu d’esprit et de jugement. Aussi, n’est-ce pas chez elles qu’on trouve des ministres et des académiciens. Ceux-ci, de même que les hommes savants, ne sont pas bêtes, mais ils sont souvent des sots parce que, s’ils ont parfois de l’esprit, ils ont plus souvent un jugement faux. Pascal disait qu’entre les sots, ceux qui se sont occupés de philosophie et de science sont les plus sots de la bande parce qu’ils le sont avec connaissance. Molière ajoutait, dans les Femmes savantes :

« La science est sujette à faire de grands sots. »

La bêtise est ignorante, modeste, naïve, passive, sans portée, et ses dégâts sont limités. La sottise se prétend savante ; elle érige son ignorance en dogmes infaillibles et en lois tyranniques. Elle s’impose bruyamment, s’étale, s’admire et veut être admirée. Elle envahit le monde avec la violence d’un fléau pour le flétrir et le saccager, pour y répandre l’imposture et le crime. La bêtise n’a qu’un bonnet d’âne, la sottise a une tiare, une couronne, une mitre, un bonnet carré ou pointu, un képi, un casque, un sabre, des diplômes, des décorations, des uniformes, un tricorne d’académicien ou de garde champêtre. La sottise justifie, en le dépassant, cet autre mot d’A. France : « Les gestes de l’humanité ne furent jamais que des bouffonneries lugubres. » La bêtise n’appartient qu’aux bêtes et aux hommes simples, demeurés primitifs, qui ne savent pas et ne demanderaient qu’à savoir pour n’être plus bêtes. La sottise n’appartient qu’aux hommes, elle est leur propriété exclusive et indivise, elle est particulière aux gens compliqués et tortueux qui ne savent pas toujours trop, mais savent trop mal et trop perfidement pour porter des jugements sains et faire un bon usage de leur savoir. La bêtise se borne à ignorer, la sottise affirme qu’elle sait tout quand elle ne sait rien. Elle est le produit artificiel, vénéneux, méchant de la civilisation arbitraire et fausse qui a établi son autorité sur le monde entier. Flaubert a dépeint, dans sa Tentation de Saint-Antoine, le Catoblépas qui « reste perpétuellement à sentir contre son ventre la chaleur de la boue, en abritant sous son aisselle des pourritures infinies », et qui se dévore lui-même sans s’en apercevoir. Il a montré aussi le Presteros « qui rend imbécile par son contact ». Ces deux monstres, dignes représentations du « bourgeois » et du prêtre, sont les symboles de la sottise. Ils sont l’image de la sénilité et de la stupidité qu’elle a répandues dans le monde.

« La nature n’a fait que des bêtes, nous devons les sots à l’état social », a dit Balzac, dont l’œuvre a si souvent percé et montré les profondeurs de la sottise hu-