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lant, qu’au temps de Néron il y avait vingt-quatre courses par jour. Elles duraient toute la journée. Le public était divisé en factions qui soutenaient les cochers rivaux. Quatre factions principales provoquaient souvent des émeutes à Rome. On en vit une, en 532, à Constantinople, qui fit 30.000 victimes !… La fureur du cirque était encore plus grande dans l’empire de Byzance qu’à Rome. Le cirque était à Constantinople le centre de la vie publique. Les empereurs byzantins dépassaient en folie mégalomane leurs confrères de Rome et le cirque fut le théâtre des tragédies et des comédies les plus sanglantes. Celui de Constantinople vit entre autres spectacles sensationnels la mutilation de Justinien II, la lapidation de Michel Calaphate, les tortures d’Andronic Commène et nombre d’exécutions capitales, à côté des triomphes des tyrans populaires.

Les combats de gladiateurs n’étaient pas moins en faveur que les courses de chars. Avant la fondation de Rome, c’était une coutume chez les Étrusques et les Campaniens de célébrer les personnages illustres par des combats d’esclaves, de prisonniers, de condamnés à mort ou de lutteurs de profession. La coutume venait des sacrifices humains pour apaiser les divinités. On en fit un divertissement populaire que les puissants favorisèrent pour gagner l’amitié du peuple. Les mots ludus (gladiateur) et lanista (maître d’une école de gladiateurs), sont d’origine étrusque. Rome hérita de cette coutume et elle eut ses gladiatores, esclaves, condamnés ou volontaires dont on faisait l’élevage et le dressage. Les gladiateurs appartenaient soit à de riches particuliers, soit à des entrepreneurs de spectacles, soit à l’État lui-même. Ils combattaient en chars (essédaires) ou à cheval (cavaliers). Les rétiaires luttaient deux par deux, les caternaires se battaient par groupes, les bestiaires combattaient des animaux. Ils donnaient aussi aux foules le spectacle de grandes batailles. A la fin de la représentation, des nègres enlevaient les cadavres et les blessés. Ces derniers étaient achevés ou servaient à des expériences de vivisection des chirurgiens quand ils ne pouvaient être remis utilement sur pied pour de nouveaux combats. César ne disposait que de 320 couples de gladiateurs, mais Trajan en eut 10.000. Quand les gladiateurs de l’empereur triomphaient, son pouvoir était plus sûrement affermi à Rome que par de grandes victoires sur les ennemis de l’Empire. Tous les peuples vaincus fournissaient leurs contingents de combattants pour les boucheries du cirque. Mais les hommes ainsi voués à la mort pour amuser une populace aussi ignoble que ses empereurs, n’étaient pas toujours disposés à ces entrégorgements. Si certains mettaient de la fureur dans les combats et devenaient des professionnels endurcis, d’autres préféraient le suicide ou combattaient mollement. On les grisait pour les exciter et, si cela ne suffisait pas, on les faisait marcher à coups de fouets et de verges rougies au feu. Les spectateurs insultaient les malhabiles et les hésitants, réclamant eux-mêmes le fouet et le fer contre eux, décidant de leur mort ou du répit qui leur serait accordé par une grâce momentanée.

Les gladiatores devinrent si nombreux à Rome que leur révolte, sous la direction de Spartacus, en 71 avant Jésus-Christ, mit l’existence de l’État en danger. Mais ils ne furent pas supprimés pour cela. Au contraire. La démagogie impériale leur fit une situation qu’aucune autre profession ne connut à Rome. Le citoyen romain méprisait le gladiateur qu’il mettait au rang du bourreau. Par snobisme, il se mit à l’admirer, à lui rendre des hommages de plus en plus éclatants. Ce fut le culte de la « belle brute » tel qu’on le voit renouvelé aujourd’hui. Des poètes chantaient les exploits des gladiateurs ; leurs portraits étaient partout encadrés des insignes du triomphe. Les femmes les plus considérables perdaient toute dignité patricienne

pour suivre ces héros, même les plus minables, tel ce Sergius « ni jeune, ni beau, qui avait le nez déformé, les yeux suintants d’humeur et était manchot par surcroît. » Mais il était un Adonis aux yeux d’une dame Hippia qui quitta pour lui son sénateur de mari, ses enfants et sa patrie. On vit des chevaliers et des sénateurs gladiateurs, et même des femmes. Il y en eut tant que César et Auguste durent leur défendre l’arène. Mais il y en eut plus que jamais sous l’Empire. Les empereurs eux-mêmes briguèrent la gloire des assassinats du cirque où ne se présentaient contre eux que des victimes complaisantes, résignées à être égorgées. Ces fous sadiques s’enivraient des triomphes de l’amphithéâtre. Commode tua de sa main plus de mille de ses prétendus adversaires, réclamant chaque fois son salaire, comme un simple gladiateur. Et les adulateurs des tyrans n’échappaient pas eux-mêmes aux fêtes du sang. Caracalla, pour le seul plaisir du meurtre, faisait massacrer des foules entières. On tuait par dilettantisme. Les empereurs et tous les personnages publics dont la vie était de plus en plus menacée dans un monde de plus en plus corrompu et criminel, trouvaient dans les gladiateurs les spadassins, les « bravi » qui leur servaient de gardes du corps, assuraient leur sécurité et les débarrassaient de leurs ennemis. « La nation, que son impuissance même avait fini par désintéresser complètement de ses propres destinées politiques, n’avait plus de passion que pour les jeux sanglants du cirque. L’art dans le meurtre, tel était devenu le raffinement par excellence, et la tourbe romaine, avide de spectacles, en discourait savamment… Le besoin de voir souffrir était devenu tel que tout drame devait être non pas figuré mais réalisé matériellement. Pour rendre quelque intérêt au vieux personnage d’Hercule sur le mont Ata, il fallait aux Romains blasés que l’on brûlât un condamné à mort sur un bûcher véritable. » (Élisée Reclus.)

Les ignobles spectacles des gladiateurs disparurent peu à peu avec l’esclavage. En 404, Honorius les interdit à Rome. L’empire, repu de sang, se coucha à son tour pour mourir.

A côté des combats des gladiateurs, le cirque offrait le spectacle des belluaires ou bestiaires qui combattaient des animaux sauvages. Comme les gladiateurs, ils étaient des esclaves, des condamnés à mort, des gens de métier ou encore des amateurs. La profession de bestiaire était encore plus méprisée que celle des gladiateurs, ce qui n’empêcha pas le succès des spectacles qu’ils donnèrent après qu’on eut vu les premiers à Rome, en 186 avant Jésus-Christ. Les bestiaires donnaient la chasse aux animaux lâchés dans les arènes. Cette chasse (venatio) devenait vite un corps à corps où l’homme combattant un lion, un tigre, un ours, devait montrer une très grande adresse et n’avait pas toujours le dessus. Elle était pratiquée à coups de flèches par les sagittarii, généralement des Parthes, et avec des épieux ou des épées par les autres. Certains ne combattaient que des taureaux, soit à pied, soit à cheval ; ils étaient les tauraii, ancêtres des toréadors dont nous parlerons plus loin. La populace romaine avait le plus grand goût pour ces spectacles qui ne la passionnaient pourtant pas autant que les luttes des gladiateurs. Les empereurs, Claude en particulier, y prenaient un vif plaisir.

Enfin, pour renchérir encore sur la barbarie de ces spectacles et l’ignominie de ceux qui s’y plaisaient, des condamnés à mort étaient livrés, attachés, aux bêtes sauvages qu’on avait fait jeûner préalablement et qui les dévoraient aux applaudissements de l’assistance. Parfois, pour faire durer le plaisir, on donnait une arme au condamné pour pouvoir se défendre. Son sort n’en était pas moins réglé, sauf si la bête se montrait moins féroce que les spectateurs, comme dans l’histoire d’Androclès. Les exercices des bestiaires se prolongèrent