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nous ferons des soldats », disait le général Chànzy. Exaltant au contraire le patriotisme (dans l’intérieur du pays même un patriotisme de clocher : voir certains matches de football), le sport, comme la presse, comme le cinéma, comme la langue internationale, comme la T. S. F., comme tout projet détourné du but de libération des hommes vers lequel il devrait tendre normalement, est canalisé vers des fins de division et d’extermination des peuples. Le sport sera simplement au service de l’homme lorsque le régime capitaliste aura disparu. Pour le moment, nous voyons de multiples sociétés sportives, fédérées et riches. Elles sont organisées pour exploiter commercialement et les aptitudes athlétiques des joueurs et la sottise des foules. Parfois, elles servent à flatter la vanité d’un roi de la coiffure ou de la chaussure. Les mécènes d’autrefois préféraient protéger les artistes ; ceux d’aujourd’hui s’attachent à des équipes de sportsmen. C’est le progrès !… La mentalité du professionnel est en harmonie avec celle de ses chefs et avec celle du public. À de rares exceptions près, l’athlète est — comme dit la chanson — un individu « grand, fort et bête ». Nous pourrions ajouter, souvent brutal et presque toujours vendu au plus offrant. On voit tel joueur radié à vie pour « s’être livré à des voies de fait sur la personne de l’arbitre », tel autre « pour insultes à l’arbitre et brutalités ». Combien en est-il qui luttent simplement pour des questions de gros sous ! Nous copions dans nos notes prises au hasard des lectures : « On se demande, avec quelque naïveté, dans les milieux sportifs, pourquoi certains athlètes, et non des moindres, se sentent tout à coup attirés vers un sport qui n’est pas le leur. Je crois qu’il faut chercher la raison de ces décisions subites dans la crise qui pèse actuellement sur la France et sur le monde. Quand (mettons X…) veut devenir boxeur, il est évident que ce sont les lauriers dorés de la boxe qui l’intéressent ; quand (Z…), à son tour, veut lâcher la course à pied pour le football, il est évident qu’il songe aux deux mille francs par mois des joueurs professionnels de la balle ronde… etc. » Pourquoi maintenant cet athlète est-il attaché à cette équipe, alors que naguère on le voyait ailleurs ? Beau joueur, on l’a « eu » en lui faisant cadeau, par exemple, d’un fonds de commerce. Ne devait-il pas profiter de la chance, cette garce qui tourne si rapidement ? Et le « commerce » n’est-il pas partout ? À propos de la radiation à vie du coureur Ladoumègue, nous avons recueilli, dans la France de Bordeaux (7 mars 1932), un article de C. A. Gonnet, dans lequel nous lisons : « … Entendons-nous bien. Je ne crois pas Ladoumègue absolument innocent… Je suppose qu’il a dû, quelquefois, pour courir, passer à la caisse. Mais — on connaît notre sentiment — j’estime que ce garçon, sans fortune, sans famille, marié, père d’un enfant, a fichtrement raison, si ses jambes de lévrier peuvent lui rapporter quelques billets de mille, de les prendre… On sait trop ce que c’est que le sport. Le jour où Ladoumègue n’avancera plus (et la course à pied, à ce régime-là, ne dure pas quinze ans !), il perdra et sa place — due au sport uniquement — et la foule d’amis qui l’entoure et toutes ses illusions. Il se retrouvera, comme bien d’autres, sur le pavé, avec sa gloire passée pour tout potage… Or, la gloire n’a jamais nourri personne. Qu’un universitaire, nanti de solides rentes, coure en pur amateur, bravo ! Mais un pauvre bougre a plus que le droit : le devoir de se débrouiller dans la vie. L’intelligence est un capital, la beauté en est un autre ; la « classe » sportive peut en être un troisième. Une réunion d’athlétisme à Paris sans Ladoumègue « fait » cinq mille francs. Avec « sa » présence, cent mille ! Et vous voudriez que de tout cet argent gagné dans la foulée de Ladoumègue, il n’eût même pas les miettes ? Allons donc ! Un boxeur montant sur un ring et qui attire la foule, exige 30 % de la recette. Tout le monde trouve cela naturel. Mais

d’un Ladoumègue, c’est un crime. On me dira : « Les dirigeants sont bénévoles… ». Ce n’est pas vrai ! Ils ont pour eux les banquets, les voyages, les relations, les honneurs. L’un de ceux qui se sont acharnés le plus sur Ladoumègue criait à qui voulait l’entendre : « Les décorations, je les méprise ! » Mais il s’est tu… du jour où on lui a donné la Légion d’honneur. Ce qui prouve d’ailleurs combien les dirigeants « bénévoles et dévoués » tiennent à leur fromage, c’est l’acharnement avec lequel ils le conservent, s’y accrochent — tout tremblants… Edifiant exemple que nous procure, entre autres, comme une triste leçon humaine, le rugby ! Ladoumègue pouvait être radié, mais après les Jeux Olympiques. La Fédération d’Athlétisme, quand elle autorisa les tournées Nuami, Peltzer, Paddock Sholz and Co, savait bien que ses athlètes étrangers ne faisaient pas de voyages d’études… Pourquoi a-t-elle accepté cela ? Pour faire de l’argent ! Il lui était égal que des étrangers vinssent en France avec un pourcentage sur les réunions auxquelles ils participaient, parce qu’elle, Fédération, en avait un autre… etc. »

N’est-ce pas édifiant ? Le même écrivain sportif nous renseigne, presque un an plus tard (La France du 11 janvier 1933) sur les progrès du fléau : « Gare à la commercialisation !  :… J’avoue être inquiet un peu de l’orientation actuelle du sport. Le sport, qui fut pur et naturel, est en train de se commercialiser de façon effrayante et excessive. Ce n’est pas la faute des pratiquants qui, à peu de chose près, suivent la même ligne de conduite que leurs prédécesseurs et, quoi qu’on en dise, courent et jouent surtout pour leur plaisir. Mais les dirigeants — et ceci dans toutes les branches de l’activité physique actuelle — sont dominés par des questions de trésorerie qui, peu à peu, les conduisent à l’ « exploitation en règle » du capital-argent que sont leurs hommes. Que font ceux-ci ? Ils ne réagissent point, ou faiblement. Je ne sais qu’un exemple : celui d’un quinze de rugby qui s’est constitué en société anonyme (ô combien !) et réclame des comptes après chaque match. Pourquoi ? On le devine… Mais, en dehors de cette préoccupation, somme toute morale ou normale, de dirigeants heureux de « faire des recettes », il y a autre chose. Des requins sont nés, qui « font » dans le sport, comme d’autres dans la politique, les fonds secrets, le chantage ou la coco. Ces nouveaux adeptes de la « traite des blancs » ont l’ambition avouée d’accaparer le sport pour des fins commerciales et de réaliser ce que New-York, par exemple, a déjà admis : « Tout effort est un spectacle, tout spectacle se paie ». Quand on a admis ce principe, ça vous mène loin. Vous ne faites plus du sport pour vous, mais pour le compte d’un autre. Puis, à un moment donné, vous affranchissant de cette tutelle, vous vous produisez vous-même. Paddock et Weissmüller, quand ils gagnaient le record du monde, songeaient déjà au cinéma et aux dollars. Désagrégation de l’idée originelle, avènement du Gladiateur. Gare !…, etc… »

C’est, évidemment, un capital, ces athlètes susceptibles de faire entrer de fructueuses recettes dans les caisses des organisateurs. (On connaît l’exemple de matches truqués pour doubler la recette dans une revanche profitable.) Mais sont-ils, du moins, des hommes « complets », de merveilleux spécimens de la race ? Hélas ! Là aussi, il faut déchanter. Les méfaits du sport ainsi compris ont, depuis longtemps, été dénoncés. Voici, par exemple, ce qu’écrit Marcel Berger, dans Mondes et Voyages, du 15 juillet 1932 : « Votre sport ? Nous lui reprocherons d’abord d’être un vrai péril pour la race. Un péril physique. Que voyons-nous ? Notre belle jeunesse et, pis, notre adolescence des deux sexes, entraînées par l’amour-propre — et par le bourrage de crâne — aux chemins de la compétition : courses à pied, cyclisme, football, rugby, boxe, natation et le reste ! Le résultat, ce sont ces organis-