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viande, on aura pour le poids de viande retirée d’un bœuf 225 kg., d’un mouton 22 kg., d’un porc 50 kg. Cela donne en milliers de tonnes de viande

1901-10 1921-30
Bœuf 54.700 69.250
Mouton 8.800 8.470
Porc 6.350 7.650

Mais ces quantités ne sont pas disponibles annuellement. Suivant l’Aide mémoire de l’ingénieur agricole (Vermorel), on n’abat chaque année que le cinquième environ des bêtes à cornes, le quart des moutons, la moitié des porcs.

Nous avons donc en milliers de tonnes de viande disponible annuellement :

1901-10 1921-30
Bœuf 10.940 13.850
Mouton 2.200 2.100
Porc 3.185 3.825
Totaux 16.325 19.775

Et nous obtenons comme parts, pour chacun des 400 et 475 millions d’adultes hommes, les nombres suivants :

Part annuelle Part journalière
kilogrammes grammes
1901-10 40, 8 115
1921-30 41 115

La ration réglementaire du soldat français, en viande désossée et crue, est de 300 grammes par jour d’après M. Yves Guyot. Ici, les 115 grammes comprennent os et petits déchets.

Nous sommes loin de l’abondance. Et nous n’avons pas fait entrer en ligne de compte les pays qui, par leur élevage, provoqueraient certainement une diminution de la maigre part attribuable à chaque humain civilisé.

Et le poisson, et les lapins, et la volaille, et le gibier ? dira-t-on.

Réunies, toutes ces nourritures n’accroîtraient pas du dixième la part de viande.

Non, nous n’avons pas trop de tout. Au contraire, tout nous manque. Tout nous manque dans les pays dits civilisés et c’est la grande cause qui fournit les prétextes à concurrences douanières, à incidents diplomatiques, à rivalités nationales et déchaînements guerriers.

Que nous y joignions les foules d’Asie, affamées malgré leur minutieuse agriculture, affamées à cause de leur reproduction bestiale, et nous verrions si le monde vit dans l’abondance, regorge de tout, ou bien végète par sous-alimentation, insuffisance, manque de toutes subsistances.

Je répète que je n’ai nullement la prétention de trancher définitivement, et d’une façon précise, la question. Je fournis des chiffres, j’offre une méthode, j’en tire une conclusion.

Que ceux qui croient à la surabondance donnent leurs chiffres, s’appuient sur du solide ! Jusqu’à preuves du contraire, je regarde comme une erreur l’affirmation que la production agricole fournit amplement de quoi nourrir l’humanité.

Beaucoup de militants politiques, sociaux verront le remède dans un accroissement de la production. Solution qui a été adoptée par les hommes dès le début de leur existence et qui a fait ses preuves comme impuissance. Produire davantage ne devient excellent que si, à la natalité désordonnée, hasardeuse, exubérante, se substitue une reproduction en nombre limité, mesuré, raisonnable, proportionnelle aux ressources générales.

Mais c’est non seulement de denrées alimentaires

que nous manquons, c’est aussi, à n’en pas douter, de confort vestimentaire, mobilier et immobilier.

Il n’est que de connaître les intérieurs prolétariens, de savoir la vie des salariés pour s’en rendre compte. Il n’est que de comparer leur confort à un type de confort désirable pour tous les humains.

Pourrait-il y avoir, par une répartition équitable, dans tout logement, assez de locaux pour y faire vivre à l’aise, en lumière et aération, chaque membre du groupe qui l’habite ? Et dans ces chambres assez de meubles commodes, confortables, jolis, pour satisfaire aux nécessités personnelles ou communautaires ?

Chacun pourrait-il, en partageant fraternellement, avoir assez de vêtements d’hiver, de demi-saison, d’été, de sortie, de travail, assez de chaussures diverses, de linge, etc… ?

Chacun dans les locaux isolés ou communautaires, pourrait-il user facilement de salles de bain, de douches, de piscines, gymnases, bibliothèques, musées, laboratoires, observatoires, ateliers, salles de réunion, de conversation, etc… ?

Chacun pourrait-il jouir d’un jardin, pourrait-il voyager, faire voyager ses idées, transporter ses objets, etc. ?

Autant de problèmes qui, aujourd’hui, à les résoudre par le côté financier, monétaire, montreraient, à n’en pas douter, la pauvreté de la richesse sociale.

Autre question encore qui peut aider à éclairer les opinions sur ce point : quel peut être, à une époque donnée, le coût de l’élevage et de l’instruction d’un enfant, de la naissance à l’âge moyen où il devient producteur capable ? Instruction, éducation sans luxe, mais confortable dans des logis clairs, aérés, propres, sains, Aucune différence entre les enfants, bien entendu. Egalité au point de départ. Tous les jeunes mis à même de réaliser les promesses de leur personnalité. Dans de telles conditions, quelque taux raisonnable que l’on prenne, quelque époque que l’on considère, on constate que la pauvreté des nations ne permet nulle part l’élevage convenable des enfants au point de vue matériel.

Il n’est, du reste, pas un homme d’État, pas un ministre, pas un administrateur, pas un gérant, à un titre quelconque dit capital social, qui ne sache l’impossibilité dans laquelle se trouve tout gouvernement de bonne volonté de satisfaire efficacement, pleinement, aux premiers besoins des hommes. L’accroissement rapide des charges sociales improductives des États, des collectivités, la multiplication des fonctionnaires, des agents de la force publique, des secours aux incapables, etc…, ne sont-ils pas d’autres indices de misère publique, de surpopulation ?

Ces questions sont des plus importantes, des plus graves. Ce n’est pas uniquement en supprimant les budgets de la guerre qu’on les résoudra. Les réformateurs sociaux, quels que soient leur but, s’ils tendent sincèrement à rendre les hommes moins malheureux, ont tort de ne pas s’en préoccuper, lis les rencontreront alors qu’il sera trop tard pour les résoudre. S’ils triomphent, dans les révolutions prochaines, ils se trouveront en face d’une telle misère sociale, qu’elle sera un obstacle formidable à tous les efforts de libération humaine.

Dire qu’on s’occupera de tout cela au lendemain du « grand soir », c’est compter sur une marge de surproduction qui n’existe pas, c’est retarder la libération qu’on poursuit, c’est, se leurrer et leurrer les foules. Qu’on suive Bakounine ou qu’on suive Marx, ou tout autre, c’est une erreur de délaisser Malthus et Paul Robin. — Gabriel Hardy.

BIBLIOGRAPHIE. — Elisée Reclus : Les produits de la terre (1892). — Paul Robin : Tableau de la production et de la consommation (1901). Type de confort pour tous