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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/19

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SAT

Mais, deux ans après, grâce au concours de l’armée française et après sa « glorieuse victoire » du Trocadéro, la Révolution était vaincue en Espagne, comme elle l’avait été en France, et l’Inquisition recommençait à griller comme du saumon la chair humaine !

Terminons ces rapides indications sur la satire à l’étranger en citant, pour la Russie, Nicolas Gogol, ses Ames mortes et son Revizor.

En France, au XIXe siècle, l’œuvre de la satire a été considérable dans tous les genres. Il est peu de penseurs, de réformateurs sociaux, de poètes et d’artistes, qui ne l’aient employée. Elle va des lettres de B. Constant à celles de Proudhon, de Bakounine, de Marx, des pamphlets de P. L. Courier, de Cormenin, de Tillier, de Veuillot, à ceux de Vallès, de Zo d’Axa, de Tailhade, des Épitres et Satires de M. J. Chénier, de Viennet, aux Jambes d’A. Barbier, aux Chansons de Béranger, à la Némésis de Barthélémy et Méry, aux Châtiments de Victor Hugo, des comédies d’E. Augier à celles de Becque, de Mirbeau, de Courteline, de Tristan Bernard, des vaudevilles de Désaugiers aux farces chatnoiresques, des opérettes d’Offenbach à celles de Claude Terrasse, du feu Figaro de la Restauration, accaparé depuis par les affairistes et les Jésuites (voir Presse), au si vivant et si libre Canard Enchaîné, de la caricature des « Girouettes » de 1815 à celle des « Gavés » de la République en 1933. Ses personnages sont Tête de lard (Louis XVIII), Mercadet, Vautour, Giboyer, Pipelet, Mayeux, Gavroche, Vireloque, Rodin, Robert Macaire et Bertrand, Monsieur Prudhomme, Badinguet, Foutriquet, Gamelle, Lechat, et Monsieur Leygues, dont « l’élégance progressiste », suivant le mot d’O. Mirbeau, incarne si bien, depuis cinquante ans, la sénilité républicaine. Puis les Tout-en-Or de la curée de 1914, les « pots de viniers », les « requins », les « topazes », les « nervis », les « resquilleurs », les « flaougnards », les « ruffians, les « trublions ». les « mercantis », les « grues », les « poules », les « barbones » et tous les « barbeaux », tous les squales, tous les barbillons qui nagent dans les « milieux » spéciaux du marécage social : politiciens, boursicotiers, banqueroutiers, maîtres-chanteurs, mouchards, « l’élite du rebut et le rebut de l’élite », a dit M. Michel-Georges Michel. Et, planant sur tout cela, le synthétisant, l’indécente bedaine, le crâne en pain de sucre du Père Ubu, incarnation solaire, symbolique, funambulesque, malodorante, du Muflisme Souverain. Flaubert n’avait pas seulement annoncé le muflisme ; il avait vu ses personnages dans ces petits bourgeois aux ventres de crapauds enflés et aux cervelles étroites d’électeurs à qui il a fait chanter :

« Nos grands pères étaient bêtes,
Nos pères l’ont été plus,
Nous le sommes davantage,
Nos enfants le seront encore plus. »

Encore plus que le pamphlet et le libelle, la caricature est, par les arts du dessin, la forme militante, agressive de la satire. Sa portée est supérieure en ce qu’elle s’incruste dans l’esprit par l’image, le trait, la couleur qui frappent instantanément et forcent à la réflexion. Relativement peu répandue jusqu’au XIXe siècle, à cause des difficultés de reproduction, elle a pris, avec le développement des arts graphiques, une importance et une influence considérables qui ont dépassé celles de la satire littéraire. Elle a abondé cependant au moyen âge, et depuis, comme illustration de cette satire dans les monuments de l’architecture, notamment les cathédrales. L’image satirique est dans la pierre sculptée, dans le bois taillé, dans les enluminures des vitraux, des livres d’heures, des manuscrits. Elle y a des traits particulièrement incisifs, et telles images de papes, de rois, ont flétri encore plus puissamment ces personnages que la véhémence d’un

Dante. Aucun grand du monde n’échappa à la caricature des Danses des morts, notamment de celle d’Holbein qui illustra aussi l’Eloge de la folie, d’Erasme. Breughel le Vieux avait, avant Holbein, caricaturé dans sa peinture les mœurs et les types de son temps. Les Songes drólatiques furent les premières illustrations de l’œuvre de Rabelais. Callot et Puget ont buriné et sculpté des aspects caractéristiques de la misère de leur temps, des mendiants et des bagnards. Ils sont, par les types qu’ils ont représentés et par leur puissance, des précurseurs de Daumier. Dans le même esprit, l’Angleterre a eu Hogarth. Goya a été, en Espagne, aussi puissant mais plus romantique et fantastique. G. Doré montra la plus grande fantaisie et non moins de force dans ses illustrations de l’Enfer, de Gargantua et de Don Quichotte.

P.-L. Courier a signalé l’usage de la caricature qui était fait contre le peuple au temps de la Restauration. Avec cette délicatesse spéciale aux aristocraties de parvenus, les anciens valets d’écuries devenus princes et barons de l’Empire, associés à leurs anciens maîtres émigrés revenus comme des rats affamés dans les fourgons des Alliés, faisaient railler par de bas mercenaires de la plume et du crayon le peuple qu’ils avaient dupé. Mais l’esprit populaire prenait d’éclatantes revanches qui vengeaient la vérité et la justice bafouées, si elles ne les établissaient pas. La caricature satirique, qui ne se borne pas à amuser par la déformation des images et l’exagération des défauts, mais qui a une intention critique et morale, poursuivant la vilaine conscience sous le vilain visage, montrant les travers des mœurs dans les « gueules de travers », cette caricature fut magnifique d’audace et de génie au XIXe siècle. Elle eut à la fois son Dante, son Cervantès et son Rabelais dans Daumier. Autour de lui, une foule d’artistes exercèrent leur verve satirique, moqueuse, vengeresse. Louis-Philippe, qui inspira à Daumier son Gargantua, le « roi-parapluie », le roi à la tête en poire répandu par la Caricature de Ch. Philippon et qui fit la joie du monde entier, ce roi, « symbole de la royauté juste-milieu » (Larousse), fut le plus bafoué de tous les polichinelles souverains, ainsi que son digne acolyte, le « bourgeois », qui demeure sous les traits impérissables du Joseph Prudhomme d’Henri Monnier. Traviès, Grandville, Gavarni, Cham, Charlet, Devéria, André Gill et cent autres furent intarissables durant de longues années. André Gill s’en prit spécialement à Courbet, puis à Gambetta et aux premiers ventres solaires de la III République. Cham fut particulièrement odieux contre la Commune, parmi toute une bande de chacals de la plume et du crayon. Faustin s’attaqua surtout aux Trochu, Ducrot et autres badernes aussi peu reluisantes du siège de Paris. Nous recommandons la lecture, dans le Dictionnaire Larousse, de l’article sur la Caricature, le journal de Philippon. Avec lui, une centaine de journaux, depuis la Silhouette, de Balzac, (1829) jusqu’au Canard Enchaîné d’aujourd’hui, représentent un siècle de caricature, vivante, hardie, émouvante, et qui, plus d’une fois, aida à soulever les pavés des rues. Les « charlatans », marchands de pâte à rasoir et de coricide, que Frison et Jacques avaient montrés faisant leurs boniments sur les places publiques, étaient de bien innocents banquistes auprès des charlatans politiciens dont Daumier a étalé la sinistre lèpre dans son Ventre législatif. Dans les trente dernières années du XIXe siècle, et depuis, la caricature satiriste a été brillamment représentée par Caran d’Ache, Toulouse Lautrec, Léandre, Willette, Steinlen, Hermann-Paul, et tous les dessinateurs de l’Assiette au beurre, au début du XXe siècle. Puis Forain, spirituel avant qu’à l’occasion de l’affaire Dreyfus il fût passé, suivant son expression, « au parti des c… » ! Depaquit, à la fois tendre et féroce, Grandjouan et Delannoy dont les condamnations demeureront une flétris-