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esprits réfléchis et sérieux ; et les soutiens des diverses religions le bannissent de leur cœur lorsqu’ils sont intelligents.

Il reste le Dieu « pur esprit », créateur, gouverneur et justicier. Nous n’entreprendrons pas de démontrer ici l’impossibilité d’existence d’un tel Dieu. Cela a été fait ailleurs et magistralement. (Voir par exemple : Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu.) Nous dirons seulement que le problème du mal restera toujours insoluble pour les croyants. L’existence de ce mal condamne le Dieu puissant, gouverneur et justicier. Voltaire n’admet que le Dieu créateur, mais… « Où est l’éternel géomètre ! Est-il en un lieu ou en tout lieu, sans occuper d’espace ? Je n’en sais rien. Est-ce de sa propre substance qu’il a arrangé toutes choses ? Je n’en sais rien. Est-il immense sans quantité et sans qualité ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut l’adorer et être juste. » (Dict. Phil. Athéisme). Cela frise de bien près l’incrédulité totale. Voltaire était suffisamment averti pour sentir en lui-même le point faible de son raisonnement sur « l’horloger ». Un horloger a des ascendants et Dieu n’en aurait pas ? Mais Voltaire était aussi d’esprit assez pratique — car il était riche — pour affirmer la nécessité d’un Dieu pour… autrui !

« On demande ensuite si un peuple d’athées peut subsister ; il me semble qu’il faut distinguer entre le peuple proprement dit et une société de philosophes au-dessus du peuple. Il est vrai que, par tout le pays, la populace a besoin du plus grand frein, et que si Bayle avait eu seulement cinq ou six cents paysans à gouverner, il n’aurait pas manqué de leur annoncer un Dieu rémunérateur et vengeur. »

Et encore : « Et je vous demanderai toujours si, quand vous avez prêté votre argent à quelqu’un de votre société, vous voudriez que ni votre débiteur, ni votre procureur, ni votre notaire, ni votre juge ne crussent en Dieu. » (Dict. Phil. Athéisme).

Toujours ce leit motiv en maints endroits de son œuvre : « Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu’on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu’un faux serment sera puni qu’à ceux qui pensent qu’ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d’avoir une religion, même mauvaise, que de n’en avoir point du tout. » Il est donc absolument nécessaire, pour les princes et pour les peuples, que l’idée d’un être suprême créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits. (Dict. Phil. Athéisme).

Mais Voltaire n’était pas dupe lui-même de son raisonnement « pour la populace », car il a écrit ailleurs : « L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de l’existence de cette chose. » (Remarques sur les Pensées de M. Pascal).

Alors, pas de Dieu Justicier ? Pas de Dieu gouverneur ? Pas de Dieu créateur ? Eh bien, vous pouvez croire à « quelque chose qui est au-dessus de nous », à l’X mystérieux, indéfinissable ; cela ne gêne pas les athées, du moment que cet X n’a plus la prétention de s’immiscer dans la conduite de leur vie. Mais alors athées et croyants seront bien près de s’entendre ; il est vrai que ceux-ci sentiront certainement le fagot.


Conclusion. — À la base de la croyance en Dieu il n’y a, au fond, qu’un désir d’implorante justice. Justice contre les hommes par renonciation à la révolte contre la société inique, par manque de virilité pour l’établissement de rapports plus fraternels entre les individus. Justice aussi contre la vie par peur de la mort. (Voir ce mot). Car la mort, sans survie de « l’âme », reste incomprise de la part des croyants. Cicéron envisageait la chose avec plus de sérénité :

« Quel mal lui fait la mort ? Nous rejetons toutes les fables ineptes des enfers, qu’est-ce donc que la mort lui a ôté ? Rien, que le sentiment des douleurs ? » Epicure pensait aussi que : « La mort en elle-même n’est pas un mal, puisque tant que nous sommes elle n’est pas, et que lorsqu’elle est, nous ne sommes plus. »

L’athée, en être conscient, débarrassé des vains espoirs et des vaines fumées, dont l’origine remonte aux paniques ancestrales, transformiste et matérialiste par raison, méconnaît Dieu.

Ce n’est pas l’opinion imprécise et sujette à caution de quelques savants qui sera assez forte pour le détourner de sa voie. — Ch. Boussinot.


SAVOIR. Lorsqu’on essaie de préciser la nature intime du savoir et celle de son mécanisme, on éprouve une très grande difficulté par le fait évident que l’on se sert du savoir lui-même pour cette fin et qu’il est, ainsi, peu aisé de saisir les premiers éléments conscients, bases de toute connaissance. C’est alors que se précisent ces questions ardues : l’homme qui sait, que sait-il exactement ? Qu’est-ce que la connaissance, qu’est-ce que la réalité ? Que saisissons-nous de l’existence des choses ? Qu’est-ce que la conscience ? Comment se fait-il que nous sentons que la réalité est autre chose qu’une spéculation de l’esprit ; que nous distinguons la différence absolue entre le moi et le non moi, entre le souvenir et le fait actuel, entre le passé et le présent, entre l’inconscient et le conscient ?

Le fait que la conscience ne sait rien d’elle-même nous démontre tout d’abord que cette conscience ne peut être la cause réelle de la connaissance, mais plutôt qu’elle n’en est que l’effet puisqu’elle apparaît ou disparaît selon des circonstances particulières. C’est donc seulement par l’analyse de quelques faits psychiques que nous saisirons le mécanisme délicat et complexe de la connaissance et de la conscience.

Prenons le cas le plus clair d’un état conscient : la vue d’un livre. Ce fait paraît absolument inanalysable au premier abord. Je sais que je vois un livre. Et c’est tout. J’en ai une conscience nette, inattaquable. Mais qui est-ce ce « je » ? Si j’essaie de penser à ce même fait, mais en supprimant mentalement le « je », j’éprouve déjà une première difficulté et je m’aperçois que mon état conscient est moins net. Si j’essaie de réaliser la même pensée, mais en supprimant tout langage, toute phrase se rapportant à cet acte visuel, alors cette pensée se résout insensiblement à une simple sensation. Le fait conscient s’atténue ainsi graduellement. Mais ce n’est pas tout ; la sensation elle-même peut perdre sa signification consciente et se réduire à une totale incompréhension. Lorsque nous voyons un objet connu, avant toute pensée nous le reconnaissons et nos réflexions peuvent ensuite s’exercer sur son usage. Si l’objet est totalement inconnu le fait conscient s’arrête aussitôt et se limite à la simple sensation, visuelle ou autre. Mais si la sensation elle-même est absolument nouvelle, alors le fait conscient disparaît pour faire place à un état d’inconscience, sans repère dans l’espace et dans le temps.

Ces cas paraissent extraordinaires, mais on connaît quelques cas d’aveugles de naissance qui, ayant acquis ultérieurement l’usage de la vue, n’ont absolument rien compris à ce qu’ils « voyaient ». Encore avaient-ils d’autres éléments pour coordonner leurs sensations et leurs pensées. Que serait l’état d’un être privé de toutes sensations, n’ayant aucun souvenir sensoriel ?

Si donc la conscience est fonction de l’importance des documents sensoriels, nous sommes amenés à penser qu’elle est nulle chez le nouveau-né. Mais alors, dira-t-on, d’où vient elle et qu’est-elle réellement ?

Nous répondrons : elle est le résultat des réactions de notre sensibilité contre le milieu ; elle n’apparaît