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THÉ
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part d’un homme de vouloir parler des choses divines avec plus de clarté et de logique que dieu, les prophètes ou les auteurs inspirés. Or telle est la prétention du théologien qui interprète les textes sacrés, les adapte et les corrige de façon à leur donner un sens conforme à l’intérêt de sa secte ou de son Église, mais souvent tout à fait contraire à sa primitive signification.

Alors que les théologies musulmane et juive sont assez simples, les théologies brahmaniste et bouddhiste sont d’une complexité extraordinaire. Les premières répondent à la mentalité de peuples essentiellement pratiques, les secondes au goût pour les subtilités métaphysiques et les abstractions échevelées qui caractérise certaines races d’Extrême-Orient. Si le catholicisme possède une dogmatique touffue et quintessenciée, il le doit d’abord aux Grecs chrétiens des premiers siècles : passionnés pour les querelles idéologiques, ces derniers apportèrent à l’étude des choses saintes un amour des chicanes et des disputes transcendantes bien caractéristique de leur tempérament particulier. Les Romains, plus positifs, comprenaient mal ces discussions à perte de vue sur des questions futiles ; c’est l’aspect juridique et moral du christianisme qui retint de préférence leur attention. Pour le théologien catholique, d’innombrables difficultés résultèrent, en outre, du fait que les décisions des conciles œcuméniques et des papes sont considérées comme infaillibles, au même titre que les Saintes Écritures. Moins gênés par un dogmatisme étroit et des formules vieillottes, les plus évolués des protestants rajeunissent, de temps en temps, leurs concepts théologiques, et les adaptent au goût de l’heure. Malgré son caractère mesquin et sa faible valeur philosophique, la théologie catholique s’impose d’ailleurs tyranniquement chez les nations occidentales ; pendant toute la durée du moyen âge, art, science, philosophie devinrent ses esclaves ; elle régna en maîtresse absolue dans les Universités et les écoles ; ses décisions s’imposèrent même aux souverains ; et le bûcher purificateur expédia dans l’autre monde les téméraires assez audacieux pour braver ses décrets. Aux héros du paganisme, enflammés de désirs indomptables, furent substitués des saints d’une apathique indolence ; des anges privés de sexe remplacèrent les dieux sensuels et belliqueux du panthéon grec ou romain ; l’antique Zeus, épris des jouissances terrestres, fut détrôné par un dieu ami de la souffrance et qui n’hésitait point à faire mourir son fils dans des supplices ignominieux. La nature et la raison, corrompues par le péché originel, parurent des ennemies qu’il fallait couvrir de chaînes pour les atteler au char de la révélation. D’où l’inhumaine civilisation du moyen âge, son mépris sadique de la douleur et de la vie du pauvre, l’ascétisme fou dont ses saints donnèrent l’exemple, sa haine de la pensée indépendante et du progrès.

Au XVIe siècle, la Réforme porta un coup terrible au prestige de la théologie catholique, en rejetant l’autorité du pape et des conciles. Culte et dogmes furent simplifiés ; mais la Bible, devenue la suprême règle de la foi, fut le mauvais génie des protestants. C’est la Renaissance qui, repoussant avec vigueur la tradition chrétienne, réhabilita la nature et la raison. La diffusion de l’esprit critique, les progrès de la science, les recherches de l’exégèse biblique indépendante ont rendu de plus en plus difficile la position des théologiens. Avant 1914, beaucoup de rationalistes s’imaginaient naïvement qu’il convenait de respecter la religion, comme on respecte ces vieilles choses, autrefois redoutables, qui n’offrent plus qu’un intérêt de curiosité. Il était de bon ton, même dans les milieux de gauche, de ne parler des croyances ancestrales qu’avec une sympathie non déguisée. Pour bien montrer qu’ils n’étaient point sectaires, les pontifes radicaux et socialistes, les dirigeants de l’Université et des grandes administrations, les francs-maçons libres penseurs prenaient, ou-

vertement, sous leur protection les pieux catholiques que de saintes femmes, des écrivains renommés ou des financiers opulents recommandaient à leur bienveillance. Aujourd’hui, la désillusion de quelques-uns doit être grande. Ils sont bafoués par les enfants de Marie qu’ils ont si tendrement réchauffés dans leur sein. Ne les plaignons pas ; plusieurs se firent sciemment les complices des chefs d’État qui prévoyaient la guerre et des patrons qui craignaient pour leurs coffres-forts. Malgré l’adresse indéniable des théologiens, la religion disparaîtra du globe ; mais c’est une erreur de croire qu’elle n’est plus dangereuse, qu’elle a épuisé tout son venin. — L. Barbedette.


THÉOSOPHIE n. f. du grec theos, dieu et sophia, sagesse. Le nom de théosophes fut d’abord réservé à des philosophes qui croyaient posséder des lumières spéciales, souvent de nature intuitive, sur les secrets arcanes du monde occulte et divin. Mysticisme et raison, science et tradition, érudition et foi se mêlaient chez eux d’une manière souvent fantasque. Au dire de certains, Paracelse, Cornelius Agrippa, Valentin Weigel, Van Helmont, Jacob Bœhme, Saint-Martin, etc., seraient des théosophes. Mais nous devons remarquer que chacun de ces penseurs a son système personnel, et que les ressemblances constatées entre eux résident moins dans le fond que dans la forme. Aussi, les historiens actuels de la philosophie ont-ils cessé de réunir dans une même école des alchimistes, des astrologues, des médecins, des mystiques qui furent, certes, des précurseurs de l’occultisme contemporain, mais professèrent des doctrines bien différentes du syncrétisme théologico-métaphysique qui porte, de nos jours, le nom de théosophie. Ce dernier fut propagé par Hélène Pétrovna Blavatsky et le colonel Henry Steel Olcott qui, en 1875, fondèrent à New-York, la Société théosophique.

Née à Ekaterinoslaw, le 31 juillet 1831, d’une ancienne famille du Mecklembourg, fixée en Russie, Hélène von Hahn perdit sa mère à onze ans et fut mariée à seize au général Blavatsky qui avait près de soixante-dix ans. Elle le quitta bientôt et mena une vie d’aventures en Asie Centrale, dans l’Inde, dans l’Amérique du Sud, en Afrique, en Europe Orientale. Elle rentra en Russie en 1858 ; en 1871, nous la trouvons au Caire. Après un court séjour à Paris, en 1873, elle se rendra à New-York où elle fera la connaissance du colonel Olcott. Tous deux quittèrent l’Amérique pour l’Inde ; ils s’installèrent à Bombay au début de 1879, et en 1882 à Adyar, qui est resté depuis cette époque le siège de la Société Théosophique. Hélène Blavatsky revint en Europe, très sérieusement malade, en 1884 ; elle changea souvent de résidence, fit même un nouveau voyage dans l’Inde et finalement mourut à Londres en 1891. Ce fut un curieux type d’aventurière. Malgré des allures brusques, elle avait bon cœur ; mais elle était peu scrupuleuse dans le choix des moyens capables d’assurer le succès de ses entreprises. Sachant les hommes épris de merveilleux, elle leur servit des miracles dont les trucs et les ficelles furent aisément mis en lumière par des savants moins naïfs que les imbéciles qui l’applaudissaient. Pour composer ses ouvrages, elle a plagié sans vergogne des auteurs qu’elle évite soigneusement de citer. Moins turbulent que son amie, Henry Olcott joua néanmoins un rôle de premier plan dans la création de la Société Théosophique. Né à Orange (New-Jersey), le 2 août 1832, il avait obtenu le grade de colonel pendant la guerre de Sécession. Son calme, son aménité inspiraient confiance à ceux que la pétulance d’Hélène Blavatsky pouvait indisposer. En réunissant leurs efforts, ces joyeux lurons firent preuve d’un remarquable savoir-faire. Comme son associée, il fabriqua des miracles qui auraient fait sourire en Europe, mais qu’on prit au sérieux dans l’Inde, terre de prédilection des charlatans. Au moins, il resta humoriste et plaisant