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mesure, la maison insalubre, le logis sans soleil et parfois sans lumière, l’air vicié des jours et des nuits, le manque d’hygiène générale et corporelle, l’usage alimentaire de produits falsifiés ou impropres, ces maux — plus sûrement peut-être encore — apportent la mort au travailleur et aux siens. Ce n’est pas dévier de sa route que de porter au premier plan des revendications immédiates du prolétaire le droit à la santé, que de lutter contre le surmenage, de batailler pour des conditions saines de vie au foyer comme à l’usine. — Stephen Mac Say.

TRAVAIL (LE) (Au point de vue individualiste). Le petit dictionnaire Larousse donne comme définition du Travail : « peine que l’on prend pour faire une chose. » Le Larousse du XXe siècle, dans sa partie encyclopédique, est plus explicite en fournissant la définition économique orthodoxe : « Le travail est le facteur essentiel de la production ; c’est lui qui, en transformant la matière, la rend propre à satisfaire les besoins humains, lui confère « l’utilité ». »

Comme nous supposons que d’autres collaborateurs de l’Encyclopédie s’occuperont de ce mot au point de vue de sa portée économico-politique, nous nous confinerons, dans ces quelques pages, à l’envisager plutôt dans un sens éthico-philosophique.

Le travail, tel qu’il est organisé dans nos sociétés modernes, nous apparaît comme une peine, pour le moins comme une obligation pénible qu’on n’accomplit que parce qu’on est forcé de le faire. La Bible nous le présente même comme un châtiment consécutif au péché, qui n’existait pas dans un état de choses antérieur, où l’homme n’était pas forcé de gagner son pain à la sueur de son front.

Cet état antérieur — le Paradis ou Éden — est analogue à « l’âge d’or » des Grecs, où dominait la loi naturelle, où « les hommes n’avaient pas besoin de lois » (Platon). Dans l’Antiquité, dans le moyen âge et au XVIIIe siècle, les classes déshéritées et les philosophes se tournèrent vers ce passé hypothétique et fabuleux où le travail n’était pas une peine ni la conséquence du péché originel. On essaya même de retrouver chez les sauvages — les « bons » sauvages — ignorés de la civilisation et l’ignorant — des représentants de cette période que les admirateurs de l’âge d’or, qu’ils l’avouent ou non, auraient bien voulu assimiler à une époque d’oisiveté générale.

Il faut donc entendre par travail l’effort quotidien organisé, réglementé (musculaire, cérébral ou autre) auquel doit s’astreindre la majorité de l’espèce humaine pour suffire à la consommation de tous ses composants.

Cette définition implique qu’un certain nombre des unités de la totalité humaine ne travaillent pas, d’où il s’ensuit qu’on peut vivre, c’est-à-dire accomplir les fonctions indispensables à la conservation de l’être, sans travailler, sans faire un effort quotidien, réglementé, organisé, etc., à la façon des parasites.

Il existe, en effet, des oisifs qui ignorent l’astreinte du travail et cependant vivent très longtemps et en bonne santé. On peut donc en conclure que le travail n’est pas une nécessité comparable à celle de la respiration, de la circulation du sang, de l’assimilation et de la désassimilation. Le fait que certains privilèges d’ordre social permettent à ce petit nombre d’inoccupés de ne rien faire ne change rien à cette constatation que le travail-peine n’est pas une nécessité.

Que l’espèce humaine, à son apparition sur la terre, ait vécu tout entière dans l’oisiveté est une tout autre question. Une chose paraît évidente, c’est qu’avant qu’ils se groupent en agglomérations toujours plus compliquées, policées, civilisées, les hommes ont ignoré le travail organisé. Ils vivaient vraisemblablement comme le font les grands primates : quand ils avaient faim,

ils se procuraient la nourriture à leur portée ; quand ils l’avaient absorbée, ils digéraient tout en se reposant, puis erraient jusqu’à ce que la faim ou le sommeil mette un terme à leur vagabondage. Quand ils ne trouvaient pas la nourriture voulue, ils succombaient, à commencer par les moins robustes ou les moins débrouillards. Ils ne pouvaient tirer d’un territoire donné plus de subsistances que celui-ci pouvait fournir : racines, fruits, coquillages, poisson ou gibier, peu importe.

Ce que l’homme primitif a ignoré c’est le travail fixe, assujetti à des règles sociales, tout comme l’ignore le chimpanzé, le gorille ou l’orang-outang. L’homme primitif passait à paresser, à folâtrer, à rôder, une grande partie de son existence.

La question du travail réglementé se pose avec la découverte du feu et l’apparition de l’outil, sans que ce soit ici le lieu de se demander qui de l’outil ou du feu a précédé l’autre, autrement dit avec la naissance de la civilisation, dont les résultats immédiats sont : augmentation de la population, création de besoins nouveaux, l’un et l’autre conduisant à l’accroissement de la consommation et des moyens d’y satisfaire (élevage, agriculture, construction, métiers, urbanisme, ateliers, fabrique, machinisme). Plus la population croît et plus les besoins s’amplifient, plus le travail s’organise, plus il devient obligatoire, plus aussi le nombre des paresseux, des errants, diminue (je parle à un point de vue général, le chômage s’intégrant dans l’organisation du travail), plus le loisir, l’oisiveté, le farniente, sont restreints à une minorité privilégiée.

Le travail, comme on l’entend actuellement, est une conséquence directe de la civilisation : surpeuplement et besoins nouveaux qu’elle a engendrés, dont beaucoup peuvent être considérés comme superflus au sens profond du mot. Le travail n’était pas fatal ; l’homme n’était nullement destiné ni déterminé à travailler comme esclave, comme serf, comme ouvrier, toute la journée, jusqu’à ce qu’il tombe épuisé de fatigue, ou une partie de la journée 16, 14, 12, 10, 9 ou 8 heures au moins. La découverte de l’outil, celle du feu sont des accidents, opiner autrement serait tomber dans le « finalisme » et dans tout ce que ce concept traîne à sa suite.

Si Fourier interprétait la condamnation portée par la Genèse comme frappant l’esclave et le salarié pour lesquels le travail est « une peine » alors qu’il est « un plaisir » pour l’homme libre, le professeur argentin F. Nicolaï admet que la conception biblique du travail considéré comme une fatigue corresponde à une réalité historique : le caractère extérieur et obligatoire du travail consécutif à la transformation de l’homme naturel en homo faber. Quoi qu’il en soit, comme l’a fait remarquer Max Nordau, la partie la plus ancienne et la plus légendaire de la Bible représente le travail comme quelque chose d’étranger à la nature humaine primitive.

Ces observations faites, il convient de remarquer que les individualistes à notre façon se préoccupent peu de savoir ce qui s’est passé lorsque l’homme a émergé de l’animalité ou, s’ils s’y intéressent, c’est à titre uniquement personnel ou documentaire. L’idée que le travail puisse constituer une expiation quelconque ne suscite aucune résonance en leur cerveau. Les individualistes savent fort bien qu’il n’est pas de vie sans mouvement. Le bon sens indique que, sous peine de périr, tout organisme vivant est astreint à dépenser une certaine somme d’activité. Or, les êtres humains, organismes vivants mieux doués par suite de l’extension ou de l’hypertrophie de leurs facultés cérébrales — que ce soit par hasard, peu importe — ont été amenés, conséquence de leur développement particulier, à dépenser une activité spéciale en vue de s’assurer non seulement la subsistance, condition de toute vie, mais encore certaines utilités nécessaires à leur habillement,