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s’assignera le devoir d’assurer aux membres qui la composeront une existence saine, large et heureuse.

Toutefois, si je reconnais volontiers que le problème du fonctionnement économique de la société est le premier de tous les problèmes que, au lendemain de leur victoire, les révolutionnaires auront à étudier et devront résoudre sur l’heure, je ne consens pas à estimer qu’il soit, pour ainsi dire, le seul, encore moins celui dont la solution comprendra, emportera celle de tous les autres ; car s’il est impossible de vivre sans produire et consommer, l’existence ne s’arrête pas à ces deux gestes indispensables, et la plus élémentaire observation démontre que aussitôt que les besoins inhérents à la vie spécifiquement économique de l’individu sont satisfaits, tous les autres besoins réclament impérieusement la satisfaction à laquelle ils ont droit.


L’organisation du travail, faisant suite à la Révolution sociale dresse l’un contre l’autre le socialisme autoritaire : collectivisme ou communisme et le socialisme libertaire : anarchisme.

C’est ici qu’éclate, dans une de ses conséquences les plus graves, l’opposition de ces deux Écoles socialistes, dans le domaine idéologique et tactique : l’une procédant du principe d’Autorité, l’autre découlant du principe de Liberté ; la première, expropriant les capitalistes et les patrons au profit de l’État-Patron ; la seconde expropriant la classe possédante, au bénéfice de la masse entière, et par conséquent, de tous les individus sans aucune exception, toutes les classes ayant disparu ou, pour être plus précis, s’étant fondues en une seule classe embrassant toute la population.

L’erreur des partis socialistes autoritaires consiste à nier la puissance créatrice et organisatrice des masses laborieuses ; en sorte que, les proclamant frappées d’incapacité à se diriger elles-mêmes, le collectivisme et le communisme autoritaires déclarent qu’il est indispensable de confier à une élite — et c’est le fait de chaque École de prétendre que cette élite se trouve chez elle, pas ailleurs — le mandat de tracer un plan de réorganisation du travail et d’appuyer l’exécution de ce plan sur un État armé d’un pouvoir souverain et d’un appareil de force répressive en mesure d’assurer, par les sanctions les plus rigides, l’observation des dispositions et règlements que nécessite la mise en pratique de ce plan.

Pour dissimuler leur âpre désir de domination, les partis socialistes se servent du mot « Élite » de préférence au mot « État ». Cette petite manœuvre est fort adroite ; mais elle ne peut tromper personne. L’État s’est, en tout temps, flatté de représenter l’Élite de la Nation : la réunion des plus hautes valeurs en compétence et en intégrité. Seulement, les siècles qui sont derrière nous ont à tel point accumulé les preuves de l’incompétence des pseudo-compétents et de la scélératesse des soi-disant intègres, que les théoriciens du socialisme autoritaire, s’ils consentent à renoncer au maintien de l’État, c’est-à-dire de cet ensemble d’institution qu’on appelle ainsi, sont résolus à en assurer la survivance sous le séduisant mais trompeur euphémisme de « l’administration des choses succédant au gouvernement des hommes ».

Administration des choses, Gouvernement, État, le contenu de ces trois expressions est absolument le même. La définition qui convient à « l’administration des choses » est celle que Malatesta a donnée de l’État. Je rappelle cette définition : « L’État, c’est cet ensemble d’institutions politiques, législatives, judiciaires, militaires, financières, etc., par lesquelles on soustrait au Peuple la gestion de ses propres affaires, la direction de sa propre conduite, le soin de sa propre sécurité, pour les confier à quelques-uns qui, — usurpation ou délégation — se trouvent investis du droit

de faire des lois sur tout et pour tous, de contraindre le Peuple à s’y conformer et se servent, à cet effet, de la force de tous. »

Le socialisme autoritaire (le Collectivisme et le Communisme) entend assurer la continuité de l’État, puisqu’il se propose de prendre en mains la direction et la gérance des affaires publiques, gestion et direction dont les masses laborieuses seraient dépossédées ; tandis que le Socialisme libertaire (l’Anarchisme), irréductible adversaire du principe d’Autorité, ne peut naître et se développer qu’en l’absence de l’État et à la condition que le Peuple prenne en mains la gestion de ses propres affaires, la direction de sa propre conduite et le soin de sa propre sécurité.

Ici s’ouvre l’abîme qui sépare l’Anarchisme de toutes les autres théories et conceptions sociales.


Ces explications étaient indispensables. Sans elles, le lecteur eût difficilement compris le sens de la question que je pose dans cet article : « travail obligatoire ou facultatif » et il n’eût probablement pas approuvé la réponse qu’on va lire.

Tous les théoriciens et militants du collectivisme, du communisme et de l’anarchisme ont peu ou prou étudié ce que sera ou pourra être l’organisation du travail au lendemain d’une transformation sociale ayant mis fin au régime capitaliste. Le travail sera-t-il obligatoire, c’est-à-dire imposé ou ne le sera-t-il pas ? La nouvelle organisation du travail comportera-t-elle l’obligation de contribuer à la production, sous peine de sanctions matérielles ? En un mot, sera-t-on libre de travailler ou de ne pas travailler, sans encourir un châtiment corporel ?

Ainsi posée, cette question est tranchée dans un sens diamétralement opposé (et il ne peut en être différemment) par le socialisme autoritaire et le socialisme libertaire. Le premier se prononce en faveur du travail obligatoire et prévoit, en cas de refus, des peines sévères ; l’autre, repoussant toute mesure de contrainte, admet le principe du travail facultatif.

Dans un de mes livres : « Mon Communisme » (le Bonheur universel), j’ai longuement exposé mon point de vue. Imaginant que, au sein de l’assemblée communale d’un centre important, cette grave question se trouve en discussion, voici le compte rendu (Mon Communisme, pp. 104 et suiv.) d’un discours prononcé, au cours de cette séance mémorable ; compte rendu rédigé par un de mes personnages, membre lui-même de ce conseil communal. (Il s’agit de la ville de Bordeaux).

« Évidemment, nous étions en droit de sommer les paresseux de faire quelque chose. Il n’eût pas été injuste de leur signifier que, s’ils persistaient à ne pas participer à l’effort commun, ils se placeraient, d’eux-mêmes, en dehors de la communauté et que, n’apportant rien à celle-ci, ils n’en recevraient rien… Nous aurions pu sans injustice leur appliquer la fameuse règle : Qui ne travaille pas ne mangera pas.

Nous eûmes à envisager la décision à prendre ; la discussion fut chaude et laborieuse. Les partisans de la méthode intransigeante furent sur le point de l’emporter.

Un de nos collègues prononça un discours, petit chef-d’œuvre de précision et de clarté, qui finit par nous rallier tous.

« Mes chers camarades, dit-il, le problème que nous avons à résoudre est des plus graves ; mais sa solution ne souffre aucun retard ; il s’agit, pour nous, de prendre, sur l’heure, une résolution ferme et d’en poursuivre loyalement l’application.

Le vieux Monde, le Monde de privilèges et d’iniquités a vécu et, tous, ici, nous sommes décidés à nous opposer à sa résurrection. Il faut donc organiser le Monde nouveau, le monde d’Égalité, de Justice et de Liberté qui en est à ses premiers jours. Tout est à