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SAL

SALAIRE n. m. Le salaire, a-t-on coutume d’affirmer, est la somme destinée à quelqu’un qui effectue un travail ou rend un service. Il est à peine besoin d’insister sur le caractère simpliste de cette définition. En effet, pour être exacte, il faudrait qu’elle spécifiât que la somme reçue représente, aussi justement que possible, la rétribution totale de l’effort produit, du travail accompli, du service rendu. En outre, le salaire représentant le pouvoir d’achat, la puissance de consommation du producteur, du travail, il faudrait qu’il correspondit toujours aux nécessités de l’existence, dans l’ordre social actuel et, pour le moins, qu’il suivît le coût de la vie dans ses fluctuations constantes.

Au cours de l’étude que j’ai consacrée : Chère (la vie) (pp. 330 à 332 de l’Encyclopédie anarchiste), j’ai montré quelle était la différence existant entre le salaire nominal et le salaire réel, en faisant intervenir, précisément, ce facteur : le coût de la vie (voir à ce sujet Études et Documents du Bureau International du Travail, série D, n° 10, de juin 1925), dont les réactions sur le salaire nominal sont telles qu’elles déterminent de façon constante le salaire réel dans un endroit donné. C’est ainsi que le salaire réel de 1933, par rapport à celui de 1913, basé sur l’indice 100 à cette époque — en admettant qu’en 1913 le salaire réel et le coût de la vie étaient à égalité — se détermine comme suit :

Encore, convient-il de faire remarquer que ces calculs ne sont qu’approximatifs, en raison des différences de conditions de vie existant aux deux époques considérées : 1913 et 1933 et d’admettre — ce qui est manifestement inexact — que les besoins de l’homme sont restés identiques. La loi du progrès condamne formellement une telle conception. A mon avis, l’homme a sans cesse des besoins nouveaux, différents en tout cas, et aucune assimilation n’est possible entre les deux époques dont il s’agit.

Quoi qu’il en soit, un fait indiscutable subsiste : l’individu ne reçoit, à tout moment et en toute circonstance, sous forme de salaire, qu’une rétribution partielle de son effort et cette rétribution, en vertu de la loi d’airain, mise en avant par Lassalle et assez justement formulée, ne permet à l’homme que de produire et se reproduire, c’est-à-dire : de satisfaire ses besoins immédiats et de se perpétuer, pour assurer la pérennité du système capitaliste. Le reste — la partie la plus importante — est conservé par l’employeur et sert à rétribuer d’abord le capital engagé par d’autres qui se partagent le fruit d’un travail effectué par autrui : ensuite, à augmenter, sous le nom de bénéfice, ce capital initial. C’est le système de l’accumulation et de la plus-value sur lequel repose, depuis des siècles, le capitalisme quelle qu’en soit la forme : individuelle ou étatique.

La lutte, aussi vieille que le monde, menée par les travailleurs pour conquérir des salaires meilleurs et aussi adéquats que possible au coût de la vie, n’a guère modifié cette situation. Et on peut dire que, d’une façon constante, le salaire est resté inférieur aux besoins. Le patronat a toujours su — et par les mêmes moyens — rendre inopérantes toutes les augmentations de salaire arrachées, souvent au prix de luttes ardentes et parfois sanglantes, par les travailleurs. Il lui a toujours suffi d’augmenter parallèlement le coût de la vie pour diminuer le pouvoir d’achat du travailleur et ramener, ainsi, le salaire réel au taux précédent.

Avec ce système, on tourne en rond, dans un cercle infernal, sans pouvoir s’en évader. Il fallait en sortir ou, tout au moins, tenter d’en sortir.

Pour ce faire, la Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire (C. G. T. S. R.) a déclaré

dans son deuxième Congrès, tenu à Lyon les 2, 3 et 4 novembre 1928, que le coût de la vie ne pouvait servir exclusivement de base au calcul du salaire. Il a signifié au capitalisme qu’il entendait que les travailleurs mesurent et fixent eux-mêmes leurs besoins et il a engagé les prolétaires à exiger du patronat des salaires correspondant à ces besoins, à tous leurs besoins. Il a nié que le salaire soit une marchandise, soumise, comme telle, à la loi de l’offre et de la demande. Il a proclamé le droit, pour le travailleur, au bonheur, à la jouissance des biens et richesses de ce monde, produit de la nature et de son effort créateur et transformateur.

Allant plus loin, après avoir refusé à l’employeur de déterminer le salaire du producteur et de mesurer ses besoins réels, il a pris position contre cette autre formule : A travail égal, salaire égal, toujours en honneur à la C. G. T. et à la C. G. T. U. et adopté cette autre formule, infiniment plus humaine et plus juste : A besoins égaux, salaires égaux, plaçant ainsi la femme et l’homme sur un plan d’égalité économique et sociale complète. Ce faisant, le Congrès a non seulement indiqué clairement que la femme, dont la somme des besoins est égale à ceux de l’homme, même si certains d’entre eux sont différents, ne devait pas être astreinte, dans chaque métier où son activité s’exerce aux côtés de l’homme, à produire une quantité de travail égale à celle fournie par l’homme pour recevoir un salaire égal à ce dernier.

La formule : à travail égal, salaire égal, est essentiellement barbare, inhumaine. Son application exige de la femme un effort physique que sa complexion ne lui permet pas de fournir et elle ne tient aucun compte des nécessités de l’existence en ce qui concerne la femme. Si on peut concevoir que le capitalisme l’accepte, quand il y a avantage, on a du mal à comprendre que des organisations ouvrières l’aient faite leur. Certaine d’être dans la bonne voie, la C. G. T. S. R. l’a rejetée. Et elle a eu pleinement raison d’agir ainsi. De ce fait, si le prolétariat comprend la valeur de la formule nouvelle, il obligera le patronat à reconnaître pour tous l’égalité du droit à la vie, sans distinction de sexe.

En outre et par voie de conséquence, il détruira cette conception qui veut que le salaire de la femme ne constitue qu’un appoint à celui de l’homme (sans même considérer que la femme est souvent seule et parfois chargée de famille) et que, partant, il est « normal » que le salaire féminin soit inférieur à celui de l’homme, même si elle produit autant que celui-ci. Enfin, ayant réalisé, sur le plan de la revendication, l’égalité entre les sexes, la C. G. T. S. R. a pensé qu’il fallait aller plus loin encore : réaliser l’égalité des salaires entre tous les travailleurs, quels que soient leurs métiers et les pays où ils exercent leur activité.

Dans ce but, elle a lancé la formule du salaire unique universel. En adoptant cette revendication, en spécifiant que le salaire unique doit être attribué à tout producteur, quels que soient son âge et son sexe, la C. G. T. S. R. a dépassé de loin — et elle le sait — le cadre des réalisations immédiates. Mais elle a considéré que c’était le seul moyen de faire sortir de l’ornière cette question des salaires, de la poser franchement sur un terrain nouveau, en s’inspirant d’un principe général d’une indéniable valeur à tous points de vue. Pour réaliser intégralement ce que contient cette revendication, le prolétariat sait qu’il doit faire des efforts considérables et répétés, mais il sait aussi qu’à l’encontre du passé, ces efforts seront fructueux et apporteront vraiment une solution et non plus des palliatifs sans portée ni durée.

En imposant au patronat le salaire unique universel, le prolétariat empêchera les immigrations massives qui viennent submerger de main-d’œuvre à bas prix les pays où les travailleurs, par leur action, ont acquis des conditions de vie et de travail meilleures.