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des erreurs très répandues, contre le prestige trompeur des systèmes philosophiques, contre les écueils que doit redouter la raison. Il a indiqué en outre les difficultés que soulève le problème de la perception intuitive et montré les limites que la pensée ne saurait franchir.

A égale distance du scepticisme et du dogmatisme se place une autre doctrine qui nous déclare incapables de savoir s’il existe une correspondance parfaite entre notre représentation et son objet, mais affirme que certaines représentations sont vraisemblables, probables ; elles possèdent en conséquence une réelle valeur pratique et peuvent nous servir de guides pour l’action. Ce système était déjà celui d’Arcésilas. Entre le vrai et le faux, déclarait-il, on ne trouve pas de différence absolue ; mais, si la spéculation pure parvient à se passer de critérium, il en faut un pour vivre et agir : ce critérium, c’est la vraisemblance. Carnéade développa la même idée d’une façon originale et donna une analyse pénétrante de la probabilité, de ses degrés et de ses signes. Les adversaires de cette conception firent remarquer que la vraisemblance suppose la vérité puisqu’elle se mesure sur elle. Chassée de l’entendement, la certitude y rentre donc à la suite de la probabilité. Cette objection, que beaucoup jugent définitive, n’apparaît cependant pas concluante à plusieurs : ils estiment qu’elle ne serait valable que si nous pouvions atteindre la vérité pleine et entière. Or nos certitudes sont trop souvent illusoires pour que, parfois, ne subsiste absolument aucune crainte d’erreur. En fait le probabilisme répond à l’état véritable de nos connaissances, même en matière de science expérimentale. Nos concepts atteignent en certains cas un très haut degré de vraisemblance ; ils sont parfaitement logiques et s’accordent avec tout ce que nous savons par ailleurs. Ce serait trop s’avancer, néanmoins, de prétendre qu’ils ne subiront jamais aucune retouche, aucun remaniement. — L. Barbedette.


SCHISME n. m. D’un mot grec qui désigne ce qui est fendu, séparé. Étymologiquement, le même sens que scission, qui vient du latin. Mais schisme ne s’emploie qu’en matière religieuse.

Il se produit des schismes dans toutes les religions qui comptent de nombreux fidèles. Le plus ancien schisme que nous connaissions est le Boudhisme. Le second est celui des Samaritains. Le troisième grand schisme est le christianisme détaché du judaïsme. Simple schisme d’abord, le christianisme commença, avec Saint Paul, à devenir la plus vaste des hérésies. (Le schisme est une séparation de la communion, mais non de l’essentiel de la doctrine. L’hérésie porte sur la doctrine. Toute hérésie s’accompagne de schisme. Le schisme peut ne pas s’accompagner d’hérésie.)

On m’assure que le schisme des Samaritains existe toujours. Les Samaritains sont, paraît-il, plus sévères que les autres Juifs dans l’observation des fêtes. Ils rejettent toute l’Écriture moins le Pentateuque. Ils s’obstinent à l’écrire en caractères archaïques et refusent d’employer les points voyelles.

Le fameux schisme des Grecs, commencé sous le patriarche Photius, devenu définitif sous Cérulaire, n’eut guère d’autre cause que les ambitions rivales des évêques de Rome et de Constantinople. Le romain, sous le titre de pape, prétendait gouverner toute l’Église chrétienne ; le byzantin, sous le titre de Patriarche œcuménique et universel, avait la même prétention.

L’Église d’Occident était d’ailleurs devenue hérétique en faisant, par une addition sournoise, procéder le Saint-Esprit du Père et du Fils, contrairement à la doctrine du Concile de Nicée, qui le fait procéder du Père seul. Comme celui qui procède est exactement aussi éternel que celui ou ceux dont il procède les mots n’ont aucun sens et, dans de tels cas, les divisions de-

viennent irréparables. En outre, l’Église latine consacre du pain sans levain et l’Église grecque du pain ordinaire. Il y a là de quoi se haïr éternellement.

Les Arméniens sont-ils hérétiques ou schismatiques ? Rome leur donne ordinairement ce dernier titre quoiqu’ils rejettent le Concile de Chalcédoine et ces deux natures qui en Jésus font, pour les orthodoxes, une seule personne. Pour l’Arménien, unité de nature comme de personne, ce qui est proprement l’hérésie des Eutychiens ou Monophysites. Mais le grand crime des Arméniens, c’est que leurs prêtres, pour affirmer la nature unique de Jésus-Christ, ne mettent pas, au moment de la consécration, quelques gouttes d’eau dans leur vin.

Par la dogmatique, la religion anglicane se sépare si peu de la secte romaine qu’on parle plutôt du schisme d’Angleterre que d’une hérésie.

Le Grand Schisme d’Occident établit des papes concurrents à Avignon, à Rome et même quelque temps à Perpignan. On n’en sortit, et difficilement, et après beaucoup de salive, d’encre et de sang répandus, que parce que le Concile était alors supérieur au pape. Si les papes avaient déjà été supérieurs, le concile de Constance n’aurait pu déposer l’infaillible Jean XXIII et l’infaillible Benoît XIII, pour les remplacer par son élu Martin V. Nous jouirions toujours de deux ou trois papes et, au lieu de faire la guerre au nom des Patries, nous aurions le plaisir, sans doute, de nous entretuer au nom des Obédiences. — Han Ryner.


SCIENCE n. f. (du latin : scientia ; de scire, savoir). On donne communément le nom de science à tout ensemble de connaissances humaines, vraies ou supposées. J’insiste sur ces deux mots, qui terminent ma définition : « ou supposées ». En effet, il est courant encore, au XX, de désigner, sous le nom de « sciences occultes » : l’alchimie, la chiromancie, l’astrologie, la cabale ; de croire à la réalité de la « science infuse », qui nous viendrait directement de Dieu, par inspiration ; de déclarer, enfin, que la métaphysique est la « science des abstractions », comme la théologie est la « science des choses divines », alors qu’il s’agit de données fort douteuses, contestables et contestées. Honorer du nom de « science » des choses aussi peu certaines, c’est faire un abus du mot. Si l’on ne veut pas rompre délibérément avec de très vieilles coutumes installées dans la langue, encore y aurait-il lieu de distinguer, très nettement, entre les sciences et la Science, celle-ci étant considérée comme le savoir humain par excellence, sans confusion possible avec ses sœurs inférieures.

La Science se compose exclusivement des connaissances qui, étant fondées sur l’expérience positive, et, par cela même, évidentes pour tout le monde, ne sont plus contestables par personne. Un fait est d’ordre scientifique lorsque sa réalité ne souffre plus aucun doute, c’est-à-dire lorsque quiconque peut contrôler son existence à volonté, à la seule condition de se placer dans les conditions requises pour cette constatation.

Il y a lieu de distinguer entre les faits scientifiques d’observation et les faits scientifiques d’expérimentation. Ces derniers sont ceux dont nous connaissons si bien les conditions déterminantes, et dont celles-ci sont tellement aisées à réunir, qu’il nous est loisible d’en opérer, chaque fois que nous le voulons, la démonstration. À cette catégorie appartiennent les expériences de physique et de chimie, journellement présentées dans des laboratoires, devant des élèves, par les professeurs chargés de leur enseignement, et qui ont cette haute conscience de n’affirmer rien qui ne soit de suite prouvable, par la production du phénomène confirmant la théorie. Les faits scientifiques d’observation sont ceux qui, en raison de leur nature, ne peuvent être produits à volonté, mais dont l’appa-