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VAU
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à M. Vautour, c’est qu’il y a, chez le petit locataire, le locataire ouvrier, le ménage laborieux avec ou sans enfants, des calamités perpétuelles : maladie, chômage, naissances, décès.

C’est une mentalité spéciale que celle de M. Vautour. Il ne s’occupe pas si la maladie, fréquente chez ses locataires miséreux, est due à la mauvaise hygiène de ses locaux, ordinairement malsains, malpropres. Le cube d’air nécessaire à chaque habitant d’un logement ne lui donne aucun souci. L’architecte à ses ordres, n’est apprécié de lui que par son talent à utiliser les vides et à caser le plus de monde possible en le plus étroit espace, sans s’inquiéter de la facilité d’évoluer en si peu de place, où l’air est incontestablement très souvent, sinon toujours, trop rare et toujours vicié par la disposition incommode, insalubre des pièces qui composent un logement de petit loyer, toujours trop cher pour ce qu’il est.

Dans les faubourgs, dans les cités des petites et grandes villes, « sous le ciel bleu de notre France », ce ne sont partout que des amas de pierres et de plâtras où la lumière ne parvient pas, où l’humidité se maintient où la vie des parasites infectes et nuisibles est seule prospère.

Aussi, la famille ouvrière, première victime de M. Vautour, s’épuise, s’exténue, toute sa vie pour l’enrichir. Plusieurs familles et parfois plusieurs générations entretiennent ainsi l’immonde oiseau : le Propriétaire impitoyable et rapace. Il faut payer recta, sans retard, car la loi est toute à sa disposition, elle est faite pour lui seul et contre ses locataires. Et ceux qui appliquent cette loi, ou ces lois, sont tous à son service, docilement, aussi bien que ceux qui les ont rédigées et votées. Il faut s’y soumettre de gré ou de force.

M. Vautour n’a jamais compté les meurtres dont il est l’auteur direct ou indirect. C’est pour être logés, avoir un abri où se nicher quand même, que des travailleurs se prostituent de corps et d’âme en se soumettant aux volontés, à l’autorité d’un patron, aux baisses de salaires, aux vexations, à l’arbitraire, aux indignes exigences d’un exploiteur stupide et insolent qui les exploite et les pressure sans vergogne ! C’est pour avoir un abri et pour le conserver que des femmes triment dans les usines, à n’importe quel prix, de jour ou de nuit, et que des jeunes filles se prostituent une fois, deux fois, trois fois… puis toujours si, pour elles, la vie de plaisir a plus de bien-être et de tranquillité sinon de charme que la vie de misère !

M. Vautour sait bien tout cela, mais il en vit et, parfois, il en crève… de pléthore !… Car lui, n’est pas poussé au suicide.

On se demande comment il se fait que M. Vautour s’acharne tant à conserver des immeubles à nombreux locataires payant peu, payant mal ou ne payant pas ?

C’est simple : la quantité supplée à la qualité. Un cent de locataires à petits loyers rapportent plus que quelques locataires à logements bourgeois et ils sont bien moins exigeants. Les petits locataires s’usent plus vite dans les locaux meurtriers du criminel M. Vautour. Les locataires passent, l’immeuble reste.


L’ignoble guerre de 1914-1918 a eu, bien malgré elle certes, l’incontestable utilité d’anéantir quelques foyers pestilentiels où s’abritèrent et succombèrent plusieurs générations de malheureux. Ils parvenaient à payer leurs assassins, les bons bourgeois propriétaires. Ceux-ci se gardaient fort d’habiter leurs taudis…, ni même les quartiers où ils étaient !

Où sont-ils les fuyards, qui ne voulaient pas mourir sous les décombres d’immeubles que les Allemands (ou les Français) bombardèrent ? Peut-être sont-ils morts sur la route de l’exode ? Peut-être ont-ils été faire le

bonheur d’autres commerçants, d’autres exploiteurs, d’autres propriétaires en d’autres lieux ?

Ils ont changé de pays, mais ils n’ont pas changé de sort sans doute !

Quant à M. Vautour, dont l’immeuble fut anéanti, il a patriotiquement fait état de son malheur. Et la Patrie, reconnaissante, l’a copieusement dédommagé de son sacrifice en le dédommageant amplement de la perte de son immeuble : s’il valait quelques milliers de francs, il a reçu quelques dizaines de milliers de francs. De même que les usines saccagées, les châteaux luxueux, les vastes habitations ont été réédifiés de façon généreuse et moderne et valent en millions ce qu’ils valaient en milliers de francs ! Ah ! la guerre fut, pour quelques possédants, une bonne, très bonne affaire… M. Vautour ne fut pas oublié dans les compensations patriotiques !

Avant la guerre, les Vautours se plaignaient fort (tout en faisant très habilement et très odieusement leurs petits calculs) du rapport de leurs immeubles.

Ainsi, avant le 2 août 1914, ils durent payer une taxe d’ordures ménagères. Ils s’en lamentaient mais se rattrapaient facilement. La taxe était-elle de 20 francs ? Aussitôt, ils augmentaient de 20 francs chaque quittance locative (chaque immeuble contenait 20, 50, 100 locataires). Telles étaient les ruses de M. Vautour, qui savait jouer à qui perd gagne et ne perdait jamais.

Il y eut ― toujours avant guerre ― une certaine agitation populaire contre la hausse des loyers.

Des logements, des appartements se trouvaient vides, inhabités, des années entières… M. Vautour préférant ne pas louer que louer sans augmentation. À ce moment, il y avait aussi des familles entières, des familles nombreuses mises à la rue, parce que, dans divers arrondissements, tous les proprios suivaient le bon exemple. Un M. Vautour avait augmenté ses loyers et fait expulser les récalcitrants ; un autre Vautour ne voulait pas d’enfants, etc…

Enfin, c’était affreux de voir de pauvres gens mis dehors avec leurs pauvres meubles (quand ils en avaient), avec leurs misérables hardes, grelottant de froid. Tous les vautours se valaient.

La Préfecture de Police ne savait où donner de la tête et son aimable et courtois personnel avait « la manière » pour évincer les coupables d’être pauvres et les inviter à circuler.

Il y avait déjà un syndicat des locataires. Il y avait aussi une équipe de bons bougres qui savait gaillardement opérer ce qu’on appelle : un déménagement à la cloche de bois.

C’est à ce moment que survint le camarade Cochon. Il introduisit au syndicat des locataires les salutaires méthodes « d’action directe », dont usait la classe ouvrière dans sa lutte contre le patronat et que préconisaient avec ardeur les militants syndicalistes de la C.G.T. révolutionnaire d’avant guerre, ayant pour but d’action : la suppression du patronat et du salariat.

Ce sacré Cochon devint alors très populaire à Paris et dans la banlieue, par sa façon méthodique d’organiser des manifestations qui ne rendaient guère sympathiques les exploits des propriétaires, à la rapacité desquels collaboraient huissiers, commissaires de police, gendarmes et agents de la force publique. Hou ! hou ! les vautours !

Cochon savait ne pas prendre les choses au tragique. D’un sang-froid imperturbable, il parlementait avec les autorités de l’Ordre bourgeois et, discrètement, installait dans les immeubles inoccupés les Sans-logis de M. Vautour.

Mais cela n’alla pas toujours aussi simplement. Il y eut bien, pour Cochon et son action, les encouragements de la foule et le concours de quelques personnalités cossues et connues, heureuses de participer à