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l’accomplissement d’une action de justice et de solidarité !

Comme il était à prévoir, la presse prit parti pour ou contre et, de l’une ou l’autre façon qu’elle arrangeât les choses, sa publicité favorisa l’action et l’initiative du camarade Cochon. Celui-ci réunissait, autour de lui, chaque fois qu’il opérait, une foule toujours plus considérable, et M. Vautour palissait de rage impuissante devant l’impuissance même de la police qui avait ordre de ne pas aggraver les choses par des brutalités, se contentant de maintenir l’ordre et de protéger le cortège de M. Cochon qui, accompagné de la musique, conduisait où il fallait, vers un abri provisoire, mais sûr, les malheureux chassés par la rapacité de M. Vautour. La foule populaire qui restait seulement spectatrice, ne ménageait point ses applaudissements à M. Cochon et ses coups de sifflets à M. Vautour.

Le chahut de Saint-Polycarpe, ainsi que se nommait la bande à Cochon, fit, un moment, reculer les représentants de la loi. On riait, on ironisait, mais on songeait combien il était odieux qu’un propriétaire, au nom de la loi, pût mettre dehors des familles entières ne pouvant payer leur loyer par suite de maladie ou de chômage. Une certaine presse fit campagne contre M. Vautour. Des interpellations se produisirent à la Chambre, des projets de lois furent mis en chantier et des commissions parlementaires constituées ; le gouvernement, bien embarrassé, craignant de froisser l’opinion publique par des coups de force contre le fauteur de désordre Cochon et contre ses compagnons, prit des mesures autrement efficaces. La calomnie ne manqua pas de s’exercer. Par insinuations, par délation, avec le concours de la presse docile, on fit courir les bruits les plus infâmes contre Cochon et contre ses amis. Il est facile d’imaginer tout ce qu’on put dire. Il importait peu que ce fût vrai, pourvu que ce fût vraisemblable. Tout cela est dans l’ordre bourgeois. Néanmoins, les bons tours de Cochon ont bien fait mal à M. Vautour.

Mais, depuis, le vautour a eu sa revanche ; la guerre fut sa dernière épreuve, il s’est bien rattrapé depuis. Ses immeubles anciens n’ont pas souffert et si, pendant quelques années, ils ont peu rapporté, ils ont pris de la valeur et ils continuent…


Aux premiers jours de son avènement, la Commune de Paris rendit plusieurs décrets. L’un d’eux, celui du 29 mars 1871, toucha au cœur le gouvernement de Versailles, car il l’atteignait vigoureusement dans son sentiment le plus sacré : la Propriété.

Les Propriétaires, les Vautours, furent défendus par le Gouvernement bourgeois fait homme, M. Thiers lui-même, qui promit vengeance à la tribune de la Chambre, à Versailles.

Voici donc l’un des premiers actes du Gouvernement de la Commune, siégeant à l’Hôtel de Ville :

« La Commune de Paris,

Considérant que le travail, l’industrie et le commerce ont supporté toutes les charges de la guerre, qu’il est juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifices,

Décrète :

Article premier. ― Remise générale est faite aux locataires des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.

Art. 2. ― Toutes les sommes payées par les locataires pendant ces neuf mois seront imputables sur les termes à venir.

Art. 3. ― Il est fait également remise des sommes dues pour les locations en garni.

Art. 4. ― Tous les baux sont résiliables, à la volonté des locataires, pendant une durée de six mois, à partir du présent décret.

Art. 5. ― Tous congés donnés seront, sur la demande des locataires, prorogés de trois mois.

Hôtel de Ville, 29 mars 1871.

La Commune de Paris. »

Cela était bien un acte de justice, comme il ne s’en accomplit qu’en période révolutionnaire.

Autrement, ce ne sont que promesses fallacieuses et déclarations verbales vite oubliées. On le vit bien au lendemain de la guerre de 1914–1918. « Les vainqueurs de la Guerre du Droit et de la Civilisation, ces héros ― avait dit le vieux pantin Clemenceau ― ont des droits sur nous ! » ― Ils eurent, en effet, le droit de se taire, de subir la vie chère et de payer M. Vautour dont ils avaient protégé les biens. Des médailles et des croix pour les blessés ; des privilèges de priorité dans les transports en commun ; de misérables pensions et des flagorneries infâmes et stupides aux monuments aux morts.

Enfin, vis-à-vis de M. Vautour, le héros, le survivant, le rescapé n’est encore, aujourd’hui, comme hier, qu’un cochon de payant comme tout autre locataire : embusqué ou exempté du service pour une cause quelconque. Le Poilu sert de thème aux exploiteurs de tout ce qui peut perpétuer les crimes engendrés par les idées fausses de gloire nationale et de patriotisme infernal et délirant.


La guerre n’a pas appauvri les propriétaires : elle a simplifié et elle a amplifié, pour eux, les moyens de s’enrichir encore. Il serait fastidieux de le démontrer ici car on sait combien il est difficile de se loger convenablement aux gens qui ne vivent que de leur travail quotidien, de leur salaire frappé d’impôt.

Ce n’est pas la guerre qui, tue les corbeaux, les vautours : elle les engraisse et les multiplie. Seule, une révolution sociale les anéantira. En attendant, comme dit Eugène Pottier :

Combien de nos chairs se repaissent !
Mais, si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !

Ces vers de l’Internationale datent de juin 1871. Et, depuis, les corbeaux, les vautours n’ont pas encore disparu. Sous la forme du grotesque et rapace M. Vautour, règne la Bourgeoisie.

A Paris, en 1882, Eugène Pottier, l’auteur de l’Internationale, fit un chant révolutionnaire qu’il dédia au citoyen Paul Lafargue, et qu’il intitula « Le Huit ». C’est un portrait ressemblant, réel, de M. Vautour !

Voici ce chant :

Toi, la terreur du pauvre monde,
Monsieur Vautour ! Monsieur Vautour !
Quittance en mains, tu fais ta ronde.
Déjà le huit ! Déjà ton jour !
Vautour !

Cet homme a donc créé la terre,
Le moellon… le fer et le bois !
Non ! cet homme est propriétaire,
Son terme vient tous les trois mois.

Oh ! c’est un rude personnage
Avant tout autre créancier,
Il peut vendre notre ménage,
Nous donner congé par huissier…

De par la loi sèche et bourrue,
Femmes en couches et moribonds,
Tant pis, s’il vous flanque à la rue
On ramasse les vagabonds !