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VIE
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et son expérience propre et son sens de la vie à l’expérience collective et à l’intérêt collectif.

Mais de même que les idées générales se forment par répétitions d’impressions identiques, l’idée de vertu se précise lentement dans un groupement par répétition de circonstances dans lesquelles chacun aurait été avantagé (ou cru être avantagé) si telle chose s’était produite. Il est évident que cette chose désirable est inévitablement un triple produit des nécessités réelles, de l’interprétation erronée des faits et de l’esprit conquérant individuel et collectif du groupement. Une sorte de moyenne s’établit entre les interprétations imaginaires de chacun, créant les croyances communes de la collectivité, et les désirs, les espoirs, l’esprit conquérant des individus finissent, après bien des heurts, par se coordonner en une sorte de désir collectif de ce qui est avantageux ou désavantageux à tous. Les hommes appellent alors vertueux l’acte qui les favorise, ou les favoriserait s’il était accompli ; et vice celui qui leur nuit. Mais il est bien évident que cette morale, moitié imaginée par l’homme, moitié imposée par la nécessité des faits, ne peut être suivie et observée totalement par tous ; car, d’une part, l’esprit critique individuel tend à la modifier dans ses erreurs d’interprétation des faits ; de l’autre, chacun, tout en désirant que les autres soient vertueux, tend à satisfaire son sens de la vie, qui ne cadre jamais totalement avec le sens rigide et cristallisé de la morale collective.

Nous avons ici l’explication du conflit entre la morale et la raison individuelle, ou simplement la raison. Celle-ci recherche les rapports exacts des choses, non déformés par l’imagination ; de même qu’elle recherche tous les points communs où les humains peuvent. réellement s’entraider et intensifier leur joie de vivre, alors que la morale crée le plus souvent des barrières et des hostilités entre les groupements.

Si l’esprit. de groupe, issu de la horde et de la famille, a créé une certaine solidarité, il a de même créé la haine de l’étranger, le nationalisme et exacerbé l’esprit conquérant. Si les croyances ont été une forme de coordination des hommes, elles ont également divisé sauvagement ces mêmes hommes, engendré le fanatisme et d’innombrables maux.

Il ressort de cela que les idées de vertu et de vice de la morale courante n’ont absolument aucune valeur objective ; qu’elles varient d’un groupement à un autre et ne pourraient servir à l’établissement d’une morale rationnelle.

La chose est pourtant possible en écartant précisément tout ce qui est imaginations, ou interprétations imaginaires des faits, et en prenant comme assises fondamentales le fonctionnement biologique des humains.

On pourra objecter, peut-être, que favoriser le fonctionnement du croyant c’est lui laisser toutes ses croyances et les moyens de les satisfaire, mais nous pouvons faire remarquer que le croyant est déjà un produit de l’imagination, interprétant les faits contrairement à la réalité, et que, si l’éducation des enfants était simplement objective, il n’y aurait pas de croyant.

Nous prenons donc le fonctionnement physiologique de l’individu comme base et nous pouvons établir ainsi cette morale sur les caractéristiques essentielles de la vie qui sont la conquête et la durée. Il y a des conquêtes avantageuses à tous les humains et des conquêtes qui leur nuisent mutuellement. Est vertueux tout acte, toute conquête qui avantage en jouissance et en durée la vie de l’individu sans nuire physiologiquement à la vie des autres, ou même leur est favorable. Est vicieux tout acte qui détruit la vie et le plaisir de vivre.

Sur ces bases élémentaires les idées de vertu et de

vice pourraient être universellement comprises et acceptées, car elles sont l’expression des seules conditions permettant réellement de vivre dans la joie et de durer. — Ixigrec.


VIE n. f. (du latin vita, même sens qu’en français). A l’article protoplasma nous avons parlé des conditions physico-chimiques de la vie et nous avons montré que la substance animée ne se distingue pas essentiellement de la matière inorganique. Tout ce que les métaphysiciens racontent sur ce sujet n’est que verbiage ; seuls les biologistes ont qualité pour nous renseigner sur le problème de la vie. Il faut donc que ce chapitre de la métaphysique descende des nébuleuses cimes où le maintiennent intentionnellement les philosophes spiritualistes, pour n’être qu’un résumé des observations et des recherches que nous devons aux spécialistes et aux hommes de laboratoire. La métaphysique n’est qu’une annexe des sciences expérimentales, quand elle cesse d’être une pure logomachie et de coller des étiquettes pompeuses sur nos ignorances. Comme les spiritualistes sont toujours nombreux et que leurs représentants, un Bergson et un Brunschvieg par exemple, disposent souverainement du haut enseignement philosophique en France, il est utile néanmoins de rappeler les doctrines de ceux qui déclarent la vie irréductible aux réalités du monde physique.

Loin de séparer nettement la substance vivante de la matière brute, les premiers penseurs grecs expliquaient les phénomènes physiques aussi bien que biologiques par un ou plusieurs éléments animés. Par la suite, on opposa l’activité de l’esprit à la passivité de la matière ; néanmoins jamais, chez les anciens, cette dernière ne fut conçue connue absolument inerte. Aristote lui-même affirmait qu’en un sens « tout est plein d’âme ». C’est assez tardivement que l’on considéra la vie comme une réalité sui generis, distincte de la matière inorganique. Mieux inspiré que lorsqu’il s’agit de l’âme, Descartes s’est élevé contre cette théorie ; sa doctrine des animaux machines est sans doute trop simpliste, elle eut du moins le mérite de préparer la voie aux conceptions physico-chimiques modernes. Quant à Leibniz, s’il n’oppose pas les corps inertes aux corps vivants, c’est qu’à ses yeux la matière elle-même reste de l’esprit, mais de l’esprit fruste et à l’état d’extrême dispersion. La vie correspondrait aux degrés intermédiaires qui séparent la matière brute de la monade douée de perceptions et d’appétitions claires.

L’animisme, qui compte parmi ses défenseurs saint Thomas, l’allemand Stahl et de nombreux spiritualistes contemporains, admet que l’âme est le principe de la vie comme de la pensée. C’est elle, assure Stahl, qui commande les mouvements et les secrétions, qui fait digérer l’estomac, battre le cœur, monter le lait aux mamelles à la fin de la gestation ; c’est elle qui préside aux phénomènes de l’assimilation et qui résiste aux influences nuisibles, quand l’organisme est malade. Barthez et l’école dite de Montpellier soutiennent au contraire qu’à côté de l’âme, cause profonde de la vie psychologique, il y a place pour un principe vital, d’essence immatérielle, mais inconscient, qui dirige toutes les fonctions corporelles. Broussais, Pinel, Bichat et les autres défenseurs de l’organisme font dériver la vie de propriétés particulières, les forces vitales, qui se greffent sur les énergies physico-chimiques, mais s’opposent à elles constamment. « La vie, disait Bichat, est l’ensemble des forces qui résistent à la mort. » Cette dernière conception fait déjà une part au mécanisme ; beaucoup de savants et de philosophes finalistes lui ont fait des concessions encore plus grandes.

Chez les biologistes allemands Reinke et Driesch, les entités métaphysiques font une réapparition à peine voilée, sous les noms de dominantes et d’entéléchies. Le naturaliste F. Houssay veut que l’on épuise tout