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de tout amphigourisme, les violences, les contraintes et tout le système de répression et de massacre que le régime capitaliste et l’État, son complice armé, font peser sur le prolétariat.

Pour la troisième fois, je te pose la question : crois-tu, peux-tu croire que ces deux bandits armés jusqu’aux dents : le Capital et l’État, renonceront, sans y être absolument contraints, à l’armature de force qui, seule, permet au Capital d’exercer ses rapines et à l’État de maintenir son autorité ? Admets-tu, peux-t li admettre que l’Idée seule parviendra à briser les baïonnettes ? Admets-tu, peux-tu admettre la force efficiente d’une idée sans qu’elle arme le bras qui agit ?

Perçois-tu, peux-tu percevoir un moyen de briser les baïonnettes sur lesquelles l’État et le Capital s’appuient et par lesquelles ils défendent leurs usurpations et leurs crimes, un moyen qui exclurait l’usage d’autres baïonnettes aux mains de leurs ennemis ?

Espères-tu, peux-tu raisonnablement espérer que, pour faire tomber les murailles de cette nouvelle Jéricho : l’État, il suffira de porter en grande pompe l’arche d’alliance précédée de sept prêtres sonnant de la trompette et escortée par un peuple priant et silencieux ?

Il est impossible que tu possèdes une telle espérance.

Et alors ?

Alors, ne faudra-t-il pas de deux choses l’une :

ou bien attendre que le miracle se renouvelle et, dans ce cas, ce sera ajourner jusqu’à la consommation des siècles la Révolution qui, sans baïonnettes, brisera les baïonnettes ;

ou bien se résoudre à trouver des baïonnettes pour briser les baïonnettes.


D. — « Autoritaire, guerrier, césarien, Sorel ne se réclama jamais de l’idéal libertaire. Il sentait, s’il ne le savait, que la violence n’est pas anarchiste. »

C’est ainsi qu’Elosu termine son étude sur Sorel et le Sorellisme et c’est en ces termes que, au nom de l’idéal anarchiste, il condamne sans restriction aucune le recours à la violence.

Point n’est besoin d’une exceptionnelle perspicacité pour comprendre qu’entre Elosu et l’anarchiste que je suis, tout le présent débat est dans ces quelques mots : « la violence n’est pas anarchiste. »

Elosu a tôt fait d’affirmer que la violence n’est pas anarchiste ; et, s’il raisonne dans ce qu’on pourrait appeler l’absolu, s’il se cantonne dans le domaine de la spéculation philosophique et si, se refusant à faire état des réalités, il ne tient compte que de l’idée pure de l’Anarchisme en soi, il ne se trompe pas en déclarant que « la violence n’est pas anarchiste », car, spécifiquement, intrinsèquement, l’Anarchisme n’est pas violent, de même que la violence n’est pas spécifiquement, intrinsèquement anarchiste.

Sur le plan exclusivement spéculatif, j’irais volontiers plus loin qu’Elosu. Je ne me bornerais pas à dire comme lui que la violence n’est pas anarchiste, j’affirmerais que la violence est anti-anarchiste.

Notre idéal consiste à instaurer un milieu social d’où seront éliminées toute prescription ou interdiction s’exerçant par voie de contrainte ou de répression. L’Anarchisme réalisé, c’est la mise en application de la fumeuse devise de l’abbaye de Thélème : « Fais ce que veux. » Être libertaire c’est ne vouloir être ni maître, ni esclave, ni chef qui commande, ni soldat qui obéit ; c’est tenir en égale horreur l’Autorité qu’on exerce et celle qu’on supporte ; c’est n’accepter aucune violence et n’en pratiquer soi-même sur personne.

Il est donc certain que, spéculativement, qu’elle soit exercée ou subie, la violence est anti-anarchiste.

On en peut encore trouver la preuve dans notre volonté ardente autant que sincère, de briser à tout jamais la violence organisée, érigée en moyen de gouvernement, Cette volonté, commune à tous les anar-

chistes, ne saurait être mise en doute ; elle s’affirme éclatante, indéniable dans le cri de guerre inlassablement poussé par nous contre l’État qu’elles que soient sa forme, son étiquette, sa constitution, ses bases juridiques et son organisation. C’est ici que se trouve le point où se produit nette, tranchante, brutale, la rupture entre ceux qui sont anarchistes et ceux qui ne le sont pas.

Mais supprimer l’État et toutes les manifestations de violence par lesquelles s’affirme pratiquement le principe d’Autorité qu’il incarne, c’est l’œuvre de demain, d’un « demain » dont nous sommes séparés par un laps de temps qu’il est impossible de fixer. Et, en attendant cette abolition de l’État, force génératrice et synthèse de la violence légalisée, il y a lieu de se préoccuper d’aujourd’hui, c’est-à-dire de la période de lutte âpre, de bataille acharnée qui précédera nécessairement et amènera, l’heure venue, l’effondrement de la violence, unique méthode de Gouvernement.


Je connais des libertaires pour qui le problème social est et n’est qu’un problème moral, un problème de conscience. Ils estiment que, pour vivre en anarchiste, il n’est pas indispensable que, sur le plan historique, l’Idéal anarchiste.se soit socialement réalisé. Ils entendent apporter au problème social autant de solutions isolées qu’Il y a d’individus ; ils considèrent que, l’éducation individuelle étant seule capable de former des êtres moralement libertaires et matériellement libres, il y a lieu d’étendre à tous et à toutes les bienfaits de cette éducation individuelle et que le moyen le plus sûr et le meilleur — sinon le plus rapide — de ravir à ceux qui font des lois et, en application de celles-ci, commandent, l’autorité dont ils jouissent, c’est d’arracher ceux qui obéissent à l’habitude de se soumettre, au respect de la légalité et au culte des Maîtres.

Ces libertaires se déclarent satisfaits quand, dans la mesure du possible, ils ont fait leur propre révolution. Quant à la Révolution sociale, celle qui a pour objet et aura pour résultat. l’affranchissement de tous dans le domaine social par l’effondrement du Régime Capitaliste et l’abolition de l’Autorité, ils vont jusqu’à. s’en désintéresser à peu près totalement. Tout au plus se décident-ils à aspirer, à soupirer, à espérer.

Mon anarchisme est moins strictement personnel et plus agissant : il n’envisage pas, mieux : il juge irréalisable une libération qui se limiterait à moi-même. Je sens trop vivement que « je suis homme et que rien de ce qui touche à l’humanité ne m’est étranger ou indifférent » pour que je ne m’attache pas avec passion à la libération commune. Je sais que mon affranchissement individuel est indissolublement lié et subordonné à l’affranchissement de mes frères en humanité et qu’il est conditionné et mesuré par l’émancipation de tous.

Je sais enfin que cette émancipation commune, indispensable à la mienne, ne peut résulter que d’un geste d’ensemble, d’un effort collectif, d’une action concertée et de masse, geste, effort et action qui feront et seront la Révolution sociale.


Les anarchistes sont des tendres, des affectueux, des sensibles. À ce titre, ils détestent la violence. S’il leur était possible d’espérer qu’ils réaliseront par la douceur et la persuasion leur conception de paix universelle, d’entraide et d’entente libres, ils répudieraient tout recours à la violence et combattraient énergiquement jusqu’à l’idée même de ce recours.

Mais pratiques et réalisateurs, quoi qu’en disent leurs détracteurs intéressés ou ignares, les anarchistes ne croient pas à la vertu magique, au pouvoir miraculeux de la persuasion et de la douceur : ils ont la certitude réfléchie que, pour faire de leur rêve admirable une réalité vivante, il faudra tout d’abord en finir avec le