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monde de cupidité, de mensonge et de domination sur les ruines duquel ils bâtiront la Cité libertaire ; ils ont la conviction que pour briser les forces d’exploitation et d’oppression, il sera nécessaire d’employer la violence.

Cette conviction s’appuie sur l’étude impartiale de l’Histoire, sur l’exemple de la Nature et les données de la Raison.

L’Histoire — je ne parle pas de cette Histoire que les thuriféraires de la Force triomphante et des Pouvoirs despotiques ont écrite, mais de celle dont les peuples ont creusé le sillon dans la lenteur des siècles — cette Histoire nous enseigne que dans ce sillon ont abondamment ruisselé les larmes et le sang des déshérités ; que s’y sont entassés les corps meurtris des innombrables et héroïques victimes de la révolte ; que chaque réforme, amélioration et perfectionnement a été le salaire des batailles sanglantes dressant les opprimés contre les oppresseurs ; que jamais les Maîtres n’ont renoncé à une parcelle de leur pouvoir tyrannique, Que jamais les riches n’ont abandonné une portion de leurs vols, une fraction de leurs privilèges, sans que l’action révolutionnaire des asservis et des spoliés ne les ait obligés à céder à la menace, à l’intimidation ou à la force populaire exacerbée que, seules, les émeutes, les insurrections, les révolutions sanglantes ont affaibli quelque peu la lourdeur des chaînes que les Puissants font peser sur les Faibles, les Grands sur les Petits et les Chefs sur les Sujets.

Telle est la leçon qui se dégage de l’étude minutieuse, de l’examen impartial de l’Histoire.

La Nature unit sa grande voix à celle de 1’Histoire en plaçant sous nos yeux le spectacle incessant de la violence brisant, à un moment donné, les résistances qui font obstacle à la naissance et au développement des forces en transformation et des formes constamment renouvelées que comporte l’éternelle évolution des êtres et des choses :

C’est le travail qui, avec une inéluctable lenteur, se produit dans la profondeur des Océans ou dans les entrailles du sol et qui, après s’être poursuivi, imperceptible et quasi inobservable, s’affirme brusquement par de formidables convulsions géologiques, incendiant, inondant, bouleversant, abaissant, nivelant, rasant ici et édifiant là.

C’est, dans les régions volcaniques, la masse des matières embrasées qui, après avoir agité la montagne de secousses de plus en plus rapprochées et de plus en plus puissantes, se fraie violemment un passage jusqu’au cratère et vomit des tourbillons de feu.

C’est le sous-sol sillonné d’infiltrations qui, se rejoignant, forment peu à peu une nappe d’eau, exercent sur la croûte terrestre une pression violente et, crevant brutalement la surface, font jaillir la source.

C’est l’enfant qui, après s’être développé durant neuf mois dans le ventre de la mère, s’évade, la gestation terminée, de la prison maternelle, en fait éclater les parois, entr’ouvre, déchire et broie tout ce qui s’oppose à son passage et naît dans la douleur et l’effusion du sang,

Enfin les données de la Raison confirment celles de la Nature et de l’Histoire.

L’élémentaire et simple raison proclame qu’escompter le bon vouloir des Gouvernements et des riches, c’est pure folie ; que ceux-ci et ceux-là, estimant que leurs privilèges sont équitables et que leur sauvegarde est indispensable au bien public, considèrent comme des malfaiteurs et traitent comme tels tous ceux qui tentent de les déposséder du Pouvoir ou de la Fortune : que s’ils s’entourent de policiers, de gendarmes et de soldats, c’est pour les lancer, à la moindre révolte, contre leurs ennemis de classe ; que s’il advient par hasard qu’ils consentent à rogner quoi que ce soit de leur exploitation ou de leur domination, c’est pour faire

la part du feu et sauver le reste ; mais que jamais ils ne consentiront à tout perdre et qu’en conséquence il faudra tôt ou tard le leur arracher par la force. Voilà ce que dit la Raison, d’accord en tous points, ici, avec la Nature et l’Histoire.

Il me reste à indiquer de quelle nature est la violence que les anarchistes sont, par les nécessités de la lutte qu’ils ont engagée et qu’ils sont inébranlablement déterminés à mener sans défaillance jusqu’à ses fins, dans l’obligation d’envisager comme une fatalité regrettable mais inéluctable.

C’est André Calomel qui va répondre :

Si les violences devaient seulement nous servir à repousser la violence, si, nous ne devions pas lui assigner des buts positifs, autant vaudrait renoncer ci participer en anarchistes au mouvement social, autant vaudrait se livrer à sa besogne d’éducationniste ou se rallier aux principes autoritaires d’une période transitoire. Car je ne confonds par la violence anarchiste avec la force publique. La violence anarchiste ne se justifie pas par un droit ; elle ne crée pas de lois ; elle ne condamne pas juridiquement : elle n’a pas de représentants réguliers ; elle n’est exercée ni par des agents ni par des commissaires, fussent-ils du peuple ; elle ne se fait respecter ni dans les écoles ni par les tribunaux ; elle ne s’établit pas, elle se déchaîne ; elle n’arrête pas la Révolution, elle la fait marcher sans cesse ; elle, ne défend pas la Société contre les attaques de l’individu : elle est l’acte de l’individu affirmant sa volonté de vivre dans te bien-être et dans la liberté. (Le Libertaire, n° 201, 1re page, 6e colonne.)

Enfin, il me reste à préciser dans quelles conditions, dans quel esprit, pour quel but et jusqu’à quelles limites les Anarchistes entendent faire usage de la violence.

C’est l’indomptable et pur militant Malatesta qui se charge de nous le dire :

La violence n’est que trop nécessaire pour résister à la violence adverse et nous devons la prêcher et la préparer si nous ne voulons pas que les conditions actuelles d’esclavage déguisé où se trouve la grande majorité de l’humanité persistent et empirent. Mais elle contient en elle-même le péril de transformer la révolution en une mêlée brutale, sans lumière d’idéal et sans possibilité de résultats bienfaisants. C’est pourquoi il faut insister sur les buts moraux du mouvement et sur la nécessité, sur le devoir de contenir la violence dans les limites de la stricte nécessité.

Nous ne disons pas que la violence est bonne quand c’est nous qui l’employons et mauvaise quand les autres t’emploient contre nous. Nous disons que la violence est justifiable, est bonne, est morale, est un devoir quand elle est employée pour la défense de soi-même et des autres contre les prétentions des violents et qu’elle est mauvaise, qu’elle est « immorale » si elle sert à violer la liberté d’autrui.

Nous ne sommes pas pacifistes, parce que la paix est impossible si elle n’est voulue des deux parties.

Nous considérons que la violence est une nécessité et un devoir pour la défense, mais pour la seule défense. Naturellement il ne s’agit pas seulement de défense contre l’attaque matérielle, directe, immédiate, mais contre toutes les institutions qui par la violence tiennent les hommes en esclavage.

Nous sommes contre te fascisme et nous voudrions qu’on le vainquit en opposant à ses violences de plus grandes violences. Et nous sommes avant tout contre tout gouvernement qui est la violence permanente.

Mais notre violence doit être résistance d’hommes contre des brutes et non lutte féroce de bêtes contre de bêtes.

Toute la violence nécessaire pour vaincre, mais rien