tence un être chétif, mal conformé, dont la destinée sera de souffrir constamment. S’il peut disposer librement de sa vie et chercher son plaisir où il le trouve, l’homme n’a pas le droit d’engager l’avenir d’un enfant condamné d’avance à une irrémédiable dégradation physique ou mentale. La stérilisation des anormaux se pratique déjà dans certains pays, et la nécessité d’un examen prénuptial est admise par les meilleurs esprits. L’américain Lothrop Stoddart rapporte l’histoire d’une famille de 1.200 individus qui eurent pour ancêtres un couple de deux dégénérés : 300 moururent prématurément, 310 furent des mendiants professionnels, 440 furent minés par la syphilis, 130 devinrent des criminels et, parmi ces derniers, 7 commirent des assassinats. Quoi qu’en pensent les catholiques, de tels exemples démontrent qu’une sélection s’impose en matière de procréation.
L’eugénisme comporte tout un ensemble de procédés dont nous ne parlerons pas ici. Dans certains pays comme l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne, la Hollande, la Suisse, il a inspiré des mesures dont les effets bienfaisants se feront sentir dans un avenir prochain. Russie et Suisse ont même permis l’avortement, quand il a lieu dans certaines conditions. En France, par contre, la loi du 31 juillet 1920 punit d’un emprisonnement de six mois à trois ans, et d’une amende de cent à cinq mille francs, quiconque « se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité. » Le simple exposé des doctrines eugéniques peut donner lieu à des poursuites qui aboutissent d’ordinaire à de sévères condamnations. Des apôtres ont cependant bravé les foudres de la loi pour les faire connaître chez nous. Concernant l’hérédité des aptitudes intellectuelles et morales, nous sommes encore très mal renseignés, malheureusement. Mais de merveilleuses perspectives s’ouvriront pour notre espèce, le jour où l’on pourra sélectionner des races supérieures par le cœur et le cerveau. Les plus audacieuses conceptions sociales, des espoirs que beaucoup déclarent utopiques, seront alors d’une réalisation aisée ; à condition, bien entendu, que cette science nouvelle ne passe point au service des oppresseurs du genre humain.
En attendant ces jours heureux, le problème de la sélection intellectuelle et morale s’impose dans nos actuelles collectivités. C’est en instituant l’École Unique que radicaux et socialistes prétendent dégager de la masse les cerveaux supérieurs. L’accès du second degré, écrit l’un de ses apologistes, serait réservé exclusivement aux enfants qui auraient été jugés dignes de le recevoir, aux environs de la onzième année. La sélection est une grave détermination qu’on espère réaliser assez exactement au moyen de trois séries d’épreuves, savoir : a) l’examen attentif des résultats de l’ensemble de la scolarité élémentaire, qui doivent être obligatoirement consignés dans un livret scolaire ; b) des épreuves écrites et orales ayant pour but de déceler des aptitudes ou des inaptitudes plutôt que de contrôler des connaissances ; c) des épreuves psychologiques. Ces épreuves donneront lieu à des notes et permettront ainsi de conclure à l’admission ou à l’ajournement d’un enfant à l’enseignement du deuxième degré. Nous espérons du reste voir établir une corrélation étroite entre l’enseignement primaire complémentaire et les deux premières années de cet enseignement de choix, afin qu’un esprit à évolution plus lente puisse reprendre sans dommage la place qui lui est due. Les jurys conscients de leur véritable rôle ne manqueront pas d’être aussi larges que possible dans le recrutement de l’élite de demain. Les éléments ne manqueront évidemment pas et permettront de puiser dans la masse les cadres futurs de la démocratie. Au troisième degré, on a l’enseignement supérieur proprement dit (Grandes Écoles, Facultés, etc…). Il se propose la formation technique et professionnelle supérieure, l’initia-
Ligue des Droits de l’Homme, parti radical, loges maçonniques, etc… collaborèrent à la confection de ce projet. Même s’il s’agit de dégager les esprits vraiment supérieurs, les mesures qu’ils préconisent sont notoirement insuffisantes. Ils confondent faussement valeur et précocité ; aux examens et concours ils prêtent des mérites dont ils sont dépourvus. Désireux de sauver la société capitaliste, ils veulent amoindrir l’énergie révolutionnaire du prolétariat, en privant la masse de ses animateurs les plus intelligents. Mais le comble, c’est qu’ils confondent naïvement l’élite scolaire avec la véritable élite sociale. Ils oublient qu’on peut être un grand esprit et un aboulique ou un fieffé gredin ; leur ignorance est telle, en matière de psychologie, qu’ils identifient savoir et moralité. Vainement, j’ai multiplié les rapports et les études pour éclairer les pontifes sur ce point : il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Dans leur pensée, l’école unique est, avant tout, un magnifique tremplin électoral, aussi m’ont-ils considéré comme un « gêneur ». Une sélection sérieuse devrait pourtant tenir compte des sentiments, de la volonté, des habitudes, des désirs, de tout l’ensemble des éléments psychologiques qui constituent la vie mentale ; à côté des aptitudes intellectuelles, il existe des dispositions morales dont l’importance est prodigieuse. J’ai traité ce problème dans Éthique Nouvelle ; et j’ai montré, par des expériences pratiques, qu’il était possible d’arriver à découvrir les tendances essentielles du moi profond. Sans l’avouer, certaines associations, certains pontifes de l’Université et même des organisations très officielles s’inspirent des idées que j’émis sur ce sujet voici dix ans. Plusieurs reconnaissent qu’une sélection morale serait indispensable dans une société rationnellement organisée. Mais financiers et politiciens sont d’irréductibles adversaires d’une méthode qui mettrait fin à leurs hypocrites et criminels agissements. — L. Barbedette.
SENS (esthétique). Le sens esthétique, que nous appellerons plus volontiers, pour éviter des interprétations alambiquées, le sens de la beauté et le sens de l’art (voir Beauté et Art), est, à notre avis, un sixième sens chez l’homme. Il est inné en lui, comme le sont toutes les « facultés d’éprouver des impressions par l’intermédiaire de ses organes », facultés qui sont celles de ses autres sens. Seul l’homme incomplet, anormal, ne possède pas ce sixième sens, comme il lui arrive d’être dépourvu de ceux de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût ou du toucher. Le sens de la beauté et de l’art est, comme les autres sens, susceptible d’augmentation, de diminution, voire d’extinction suivant que son usage est plus ou moins exercé et fréquent.
L’homme primitif est, tout naturellement, sculpteur, peintre, poète, musicien. Il taille ou peint des images, il harmonise sa pensée par le vers ou par le chant, sans avoir appris, tout comme il respire, comme il dort, comme il mange, tant que ses rapports avec la nature ne sont pas interrompus ou faussés par des conventions plus ou moins arbitraires. Ce sont ces conventions toujours plus compliquées qui ont rompu, pour l’homme civilisé, la continuité de ses rapports avec la nature, comme elles ont modifié les facultés de ses sens et les ont diminuées au point de les supprimer parfois totalement. Une sorte d’atavisme s’est formé dans l’espèce humaine qui a, peu à peu, produit et transmis en elle