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des limites ; la rose bleue, par exemple, n’a encore été obtenue par aucun horticulteur. Le croisement des races permet aussi de produire des types inédits, qu’il s’agisse de fleurs, de céréales, d’arbres fruitiers, de plantes industrielles quelconques. C’est ainsi que l’on a sélectionné des variétés de betteraves, de blé, de pommes de terre, dont les qualités augmentent singulièrement la valeur. « La rose du Bengale, écrit Edmond Perrier, a été importée chez nous vers 1800, la rose multiflore en 1837, la rose de l’île Bourbon en 1820 ; elles ont fourni, depuis, de nombreuses variétés : c’est en les croisant les unes et les autres avec nos roses anciennes, fleurissant au printemps, qu’on a obtenu les roses hybrides remontantes, qui fleurissent deux fois par an. »

Dans leur ensemble, ces procédés sont imités de ceux que l’homme utilise, depuis les temps les plus anciens, pour l’amélioration des races d’animaux domestiques ou pour la production de races nouvelles. Nous ne savons rien de précis concernant l’origine et l’histoire de la majorité des grandes races domestiques, soit qu’elles remontent à des époques sur lesquelles nous sommes très mal renseignés, soit qu’elles résultent d’une sélection lente, variable, intermittente et qui n’eut rien de méthodique. C’est à des mutations ou des combinaisons qui parurent intéressantes que sont dus chiens et chats sans queue, moutons et bœufs sans cornes, de nombreuses races de poules, de pigeons, de chevaux, de chiens, etc… Quoi qu’il en soit, la sélection, intentionnellement appliquée par l’homme, dans l’ordre végétal ou animal, apparaît merveilleusement utile et féconde. Non seulement, disait Youatt, elle permet à l’éleveur de modifier le caractère de son troupeau, mais elle lui fournit le moyen de le transformer complètement : « C’est la baguette magique, à l’aide de laquelle il appelle à la vie quelque forme ou moule qui lui plaise. » L’éleveur de pigeons John Sebright affirmait « qu’il répondait de produire quelque plumage que ce fût en trois ans ; mais qu’il lui en fallait six pour obtenir la tête et le bec. » Et l’on sait quels prix énormes valent les beaux reproducteurs dont la généalogie est irréprochable. Grâce aux lois de Mendel, il est d’ailleurs possible de calculer les résultats des croisements entre individus de caractères différents. Ajoutons que les méthodes à suivre, pour obtenir deux individus capables d’être la souche d’une race stable, varient selon la nature dominante ou dominée de la qualité que l’on désire. Facile dans le second cas, l’isolement est long et incertain dans le premier ; beaucoup d’individus, que les éleveurs déclarent de race pure, n’en ont que l’apparence : la disjonction mendélienne, qui survient lorsqu’on les croise entre eux, le démontre.

Puisque la sélection artificielle, appliquée aux animaux domestiques, conduit à d’heureux résultats, l’homme gagnerait sans aucun doute à user de procédés analogues, quand il s’agit de sa propre reproduction. Malheureusement, la religion chrétienne en général et plus particulièrement la branche catholique exercent une influence très néfaste en matière de procréation humaine. Asservis à des dogmes absurdes, les catholiques continuent d’obéir à l’ordre donné par Jahveh à Adam et à Ève : « Multipliez-vous ! » Dans une encyclique de décembre 1930, le pape a rappelé que la doctrine traditionnelle ne devait subir aucune atténuation. « En considération du bonheur éternel qui est normalement à leur portée, écrit le jésuite J. Keating, il est mieux que des enfants naissent estropiés ou tarés, que de ne pas être nés du tout. » Le pitre Jean Guiraud, dont j’ai pu apprécier la sottise et la mauvaise foi lorsqu’il enseignait à l’Université de Besançon, résume les explications des théologiens catholiques en assurant que la restriction volontaire de la natalité est une faute d’une gravité exceptionnelle.

Moins déraisonnables, les protestants ont adopté de

nos jours une attitude différente, du moins dans certains pays. Le député Sixte-Quenin le constate dans son intéressant rapport sur le Problème de la Natalité : « Le nombre considérable des chômeurs anglais, écrit-il, a montré à des membres de la Chambre des Lords et à de hautes personnalités de l’Église anglicane, que la propagande néo-malthusienne devenait, en Angleterre, une mesure de salut public. On sait quel éclatant démenti a été donné, par les colonies anglaises, à la thèse qui prétendait que les colonies pourraient toujours, le cas échéant, recevoir un excédent possible de population de la métropole. Les gouvernants anglais ont essayé de se débarrasser, en les envoyant dans leurs colonies, d’une partie au moins de leurs chômeurs qui représentent une si lourde charge pour le budget anglais. Cette entreprise a lamentablement échoué… Ainsi s’explique-t-on que des lords et des évêques en soient venus à penser que l’Angleterre est trop peuplée, que les chômeurs qui y sont en excédent et à la charge de ceux qui travaillent, peut-être eût-il mieux valu qu’ils ne naquissent point et qu’en tout cas il serait sage d’éviter que leur nombre s’augmentât par une procréation exagérée. En Amérique, il faut bien croire que ce sentiment est encore plus répandu, car on a pu lire, dans Paris-Midi, ce télégramme de New-York du 9 décembre 1932 : « Le Conseil fédéral des églises du Christ en Amérique a tenu hier, à Indianapolis, son congrès annuel, à l’issue duquel des résolutions sensationnelles ont été adoptées. Disons d’abord que cette association groupe 135.000 églises protestantes et que ses adhérents sont au nombre de 22 millions. En ce qui concerne les problèmes sociologiques, le Conseil fédéral insiste sur la nécessité du contrôle des naissances dans « l’intérêt de la morale et de la protection de la vie humaine ». Il estime que c’est là le seul moyen de maintenir le standard de vie désirable et n’hésite pas à préconiser la création d’écoles du mariage, dont les élèves seraient initiés, par des médecins et professeurs qualifiés, aux mystères de l’eugénisme. » C’est que l’Amérique, qui compte pourtant encore de vastes étendues peu peuplées, non seulement elle aussi, après avoir fermé ses portes aux Asiatiques, les ferme aux Européens, mais elle doit reconnaître son impuissance à utiliser son territoire soi-disant insuffisamment peuplé pour donner du travail à ses millions de chômeurs. » En France, en Italie, les prêtres s’associent par contre au pouvoir civil pour condamner la restriction volontaire de la natalité. D’une façon générale, le désir de disposer d’un « matériel humain » abondant, pour les guerres en perspective, pousse les nationalistes du continent européen à réclamer une procréation toujours amplifiée.

Malgré leur parenté évidente, le problème de la limitation des naissances et celui de la sélection eugénique ne sont point rigoureusement identiques. Le premier, d’ordre surtout quantitatif, se préoccupe d’établir un heureux équilibre entre les ressources du globe et l’effectif de la population qui s’agite à sa surface. Le second, d’ordre qualitatif, porte sur les moyens d’éviter un amoindrissement de notre espèce, et même d’assurer son amélioration autant qu’il est possible. Il faut, déclarent avec raison les partisans de l’eugénisme, que la procréation cesse d’être le résultat d’un instinct aveugle et du hasard, pour devenir l’œuvre volontaire et réfléchie de parents sains de corps et d’esprit. Un enfant vigoureux, robuste, bien doué intellectuellement, ne vaut-il pas mieux que cent enfants malingres et tarés ? Favoriser la procréation d’une manière aveugle, sans tenir compte des maladies héréditaires, des aptitudes familiales, des conditions favorables au perfectionnement de l’espèce, c’est précipiter la déchéance de la race humaine. Ils commettent un crime, les parents alcooliques, tuberculeux, syphilitiques, ou tarés à d’autres points de vue, qui jettent dans la lutte pour l’exis-