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assez large — eux qui, cependant, font chaque jour de nombreux accrocs à leur morale — pour vous suivre sur ce terrain. En parler, c’est trop dangereux. Dire la vérité là-dessus, ce serait ébranler la société sur ses bases : toucher à la famille, au mariage, etc., ce serait la fin de tout. Continuons à rabâcher les mêmes âneries et à faire les mêmes gestes. La société ne s’en portera que mieux.


C’est dans le domaine sexuel que la morale est le plus immorale. C’est là surtout qu’elle manifeste sa mauvaise humeur, car ayant la vie en horreur la source de la vie lui est insupportable. Elle décrète impérativement que ce qui est naturel est immoral. Aussi aboutit-elle à des incohérences sans nombre. Elle est obligée de découvrir des faux-fuyants, des détours, des compromis, pour paraître logique. Elle ne fait que démontrer par là son illogisme.

En fait de « morale sexuelle », l’humanité retarde. Elle ne sait ce qu’elle veut. Elle se débat dans un tissu de contradictions. Elle se renie sans cesse. Elle ne paraît pas soupçonner qu’il existe une question sexuelle, plus importante que toutes les questions qui l’accaparent. De cette question, en effet, dépend le bonheur des individus. Sous aucun prétexte, elle ne veut en entendre parler : ce serait la fin de tout. À plus forte raison d’une esthétique sexuelle, considérant l’œuvre de chair comme une œuvre d’art. O bêtise éternelle, tu règnes dans ce domaine souverainement !

Jamais certains esprits ne se décidèrent à regarder la vérité en face. L’humanité ne diffère pas de l’animalité : elle a, comme elle, un sexe. Elle est soumise aux mêmes lois. L’homme n’est pas une entité : il possède un corps. C’est de l’hypocrisie que de ne pas en convenir. Il faut donc se résoudre à admettre certaines fonctions, certains gestes, n’en déplaise aux esprits bien pensants. Esprits pauvres, et pauvres esprits, qui ne parlent qu’à mots couverts des organes sexuels, comme d’une chose innommable, ils ne sont pas mûrs pour le « sexualisme révolutionnaire », qui est la révolte de la chair contre toutes les contraintes. Une éthique sexuelle, ayant pour corollaire une esthétique sexuelle, n’est guère possible dans une société qui ne s’intéresse qu’à des combats de boxe ou des prouesses d’aviateur.


Que de crimes provoque cette morale immorale dans les questions de sentiment : jeunes gens se donnant la mort, parce que leur « famille » s’oppose à leur mariage ; mari trompé abattant d’un coup de revolver sa femme et son complice ; épouse trahie usant du vitriol, etc., etc. Chaque jour, on lit dans les feuilles journalistiques le récit de drames « passionnels » du même genre. C’est lamentable ! La jalousie et le propriétarisme en amour empoisonnent l’existence des individus.

Cette morale a donné naissance aux pires calamités ; on lui doit la prostitution et les maladies vénériennes. La femme est ici sacrifiée : l’homme a tous les droits, la femme n’en a aucun. L’égoïsme du mâle se permet toutes les fantaisies mais n’admet pas la réciprocité de la part de sa compagne.

Que de préjugés dans ce domaine de l’amour aussi nuancé que l’arc-en-ciel. De tous les préjugés qui enlaidissent les hommes, ce sont les plus stupides. En fait de « sexologie », les bourgeois ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ils sont affreusement myopes. Ne leur parlez pas d’éducation sexuelle. Elle leur fait l’effet d’un épouvantail. L’effleurer seulement, c’est se placer en dehors de toutes les normes. Ils sont grotesques, avec leurs scrupules (ils n’en ont guère en d’autres cas). Leur pudeur s’effarouche dès qu’on aborde la question sexuelle. Cette question ne sera pas posée. Et pourtant, chaque jour, de vertueux sénateurs et d’honnêtes pères de famille se font prendre en flagrant délit d’attentat aux mœurs. Ils ne sont pas précisé-

ment fidèles à leurs épouses. L’adultère est dans leurs habitudes. Ils cherchent des « excitations », se font pendre ou fouetter, pour tirer de leur sexe un peu de jouissance.

Leur progéniture a de quoi tenir. Leurs filles ont un « flirt ». Leurs fils ont des maîtresses, qu’ils lâchent, ou qui les lâchent à la première occasion. En attendant, ils ont des habitudes qu’il leur est difficile de surmonter. Quelle conception peut avoir de l’amour un jeune homme abruti par la masturbation ? Celle-ci est le fruit d’une éducation à rebours, qui vise à refouler ce qui est naturel dans l’individu et à le remplacer par quelque chose d’artificiel.

Cette morale, les bourgeois savent s’en passer quand elle contrarie leurs intérêts. Ils ferment alors les yeux sur les pires saletés. Ils tolèrent de graves manquements au dogmatisme sexuel. Du moment que ça leur rapporte, il n’y a plus de pudeur.

Le mariage est une « affaire » entre gens « comme il faut ». Autant dire une prostitution, légale et déguisée. C’est un trompe-l’œil et une façade. Le mariage est la base de la société, disent les moralistes. C’est une base peu intéressante. Pour « arriver », des gens se marient. Ils arrivent… à se séparer. Se marier est bien vu. Il faut se marier, coûte que coûte, pour obtenir un brevet d’honnêteté. Alors, on peut tout se permettre. Honte à celui qui n’est pas marié. C’est le bouc émissaire ! Il a tous les vices. C’est ce qui faisait dire à Ibsen que « le mariage dans notre société est une cause de dégradation et de démoralisation ». « Au nom de la loi, je vous unis », l’individu muni d’une sous-ventrière qui prononce cette formule est aussi grotesque que les conjoints qui viennent lui demander la permission de coucher ensemble.

L’amour intervient rarement dans le mariage. C’est un détail. Ce qui intervient, ce sont toutes sortes de considérations accessoires. La mère, qui cherche à « caser sa fille » (sic), la met en contact avec n’importe quel individu, qui l’épousera si elle possède une jolie dot. Dans le cas contraire, il n’en veut pas. La mère, qui cherche à « caser sa fille » ne se préoccupe guère de savoir si son futur gendre a la syphilis ou toute autre tare. L’essentiel, c’est qu’il ait de l’argent. Cela seul compte. Le reste ne compte pas. Initier sa fille à la vie sexuelle, à ce qui l’attend pendant le mariage, ce ne serait pas convenable. L’initiation sera faite par le mari, à la va-comme-je-te-pousse. « Ne commencez jamais le mariage par un viol », disait Balzac, qui connaissait le cœur humain. Or la plupart des « maris » commencent le mariage par un viol. Vendre la chair de sa chair au plus offrant, telle est l’unique préoccupation de beaucoup de mères de famille. Livrer sa fille au premier venu, contre bonnes espèces sonnantes, c’est faire preuve d’une sollicitude toute maternelle. Rien ne distingue, sur ce point, les civilisés des « sauvages ». On peut même dire que ces derniers agissent plus proprement, quand ils vendent leurs filles ou qu’ils achètent celles des autres.

L’intérêt, la vanité, les relations, « le rang », interviennent dans la question sacro-sainte du mariage. L’union des sexes n’est pas une petite affaire. Il y a là des questions de race, de nationalité, de religion, qui dressent les familles les unes contre les autres. Elles redoutent des « mésalliances ». À côté de cela, on voit des princesses épouser leur chauffeur. Revanche de la chair contre toutes les étiquettes.

On assiste à des unions grotesques, dans lesquelles l’harmonie est loin de régner. Elle n’est qu’apparente, pour la galerie. Quant aux fruits nés de ces unions, ce sont des fruits véreux. Les enfants valent les parents. Tristes familles que ces familles de bourgeois, respectueux de toutes les traditions, et cependant pourris de vices. La famille bourgeoise est au-dessous de tout. Elle se croit pourtant au-dessus de tout. Jean Rostand a