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forgé une épithète pour désigner les père, mère et fils de famille mégalomanes : il les appelle des familiotes. Le mot est bien trouvé. Leur familiotisme vaut leur patriotisme.

Les bourgeois ignorent l’eugénisme. Qu’est-ce que c’est que ça ? Ils substituent à la procréation consciente la procréation inconsciente. Ils font des enfants malingres et idiots. Ils sont pour cela dispensés d’une partie de l’impôt et d’une foule de corvées. C’est le célibataire qui prend tout et paie pour les enfants des autres. C’est logique, dans une société illogique.

Il y a, dans le domaine sexuel, qui joue un si grand rôle dans la vie humaine, plus d’une réforme à accomplir. Pourquoi les moralistes veulent-ils imposer à tous les hommes une manière de voir uniforme ? Ils se trompent grossièrement et sont en désaccord avec les lois de la vie. Comment se plier aux commandements de la morale lorsqu’elle-même n’est pas stable ? Chez tel peuple règne la monogamie ; chez tel autre la polygamie, considérée comme un crime chez le premier. Tantôt le nu est proscrit, tantôt il est toléré. Ce qui est pudeur ici est impudeur plus loin. La morale sexuelle change avec le milieu.

« Il est bien vrai que la morale est une affaire de goût », affirme le sceptique Anatole France, voulant dire par là que la morale n’est ni stable ni universelle. L’homme moral, partout le même, sous toutes les latitudes, possédant mêmes besoins et mêmes goûts, quels besoins et quels goûts ! est une anomalie et une monstruosité. Le comte de Gobineau, précurseur de Nietzsche, voyait juste quand il écrivait, dans l’Introduction de ses Nouvelles Asiatiques : « Au rebours de ce que nous enseignent les moralistes, les hommes ne sont nulle part les mêmes. »

La question sexuelle est une question personnelle. La liberté, dans ce domaine, est absolue ; chaque être use de son corps comme il l’entend ; chacun a le droit d’agir à sa guise. Il n’y a pas de morale sexuelle universelle. La morale sexuelle est individuelle. Il est ridicule de chercher à imposer aux sujets les plus différents un monisme amoureux. De même que nous ne pensons pas tous la même chose, nous aimons diversement. Si l’individu est la mesure de toute chose, comme le croyaient les sages antiques, n’est-ce pas surtout en amour ?

Au sujet de cette question sexuelle, comme au sujet de tant d’autres questions, renonçons à penser comme tout le monde. Ne craignons pas d’aller de l’avant. Notre morale sexuelle n’est pas celle de quantité d’individus pourris de préjugés. Si elle n’est pas conforme à la tradition, elle correspond à la réalité.

On en veut beaucoup à Freud d’avoir dévoilé que toute notre vie, intellectuelle et morale, prend sa source dans la sexualité. C’est une constatation que les moralistes ne lui pardonnent pas. Havelock Ellis est encore de ces sexologues dangereux, à ne pas lire. Ses révélations pourraient troubler l’âme innocente des petites oies blanches qui fréquentent les salons mondains.

Concluons, avec ce dernier, que « toute personne qui soutient que l’impulsion sexuelle est mauvaise, ou même basse et vulgaire, est une absurdité et une anomalie dans l’univers. » — Gérard de Lacaze-Duthiers.

SILLON — SILLONISME n. m. En 1885, un journal, dont la vie fut extrêmement éphémère, se fondait, rue de Rennes, à Paris, sous le titre « Dieu et Patrie », dont les directeurs : Marc Sangnier et Paul Renaudin, devaient être plus tard les fondateurs du Sillon. Autour d’eux se formèrent des amitiés et, en 1894, alors que Marc Sangnier terminait, au Collège Stanislas, les études qui devaient le conduire à Polytechnique, la doctrine ( ?) du Sillon — le Sillonisme — était définitivement élaborée. Dans les quelques années qui suivirent, deux organes : la revue « Le Sillon » et le jour-

nal « L’Éveil Démocratique » étaient créés aux fins de diffusion des théories sillonistes dans le grand public.

Le programme du Sillon ? Le voici tel qu’il ressort des multiples déclarations, infiniment plus pompeuses que sincères, de ses chefs et théoriciens : émancipation politique, économique, intellectuelle du peuple, pour arriver à l’égalité qui est la vraie justice humaine. La démocratie étant l’organisation politique et sociale fondée sur l’égalité et la liberté des individus, en même temps que la participation de chacun au gouvernement de la chose publique dans le triple domaine moral, politique et économique, le Sillon entend réaliser, en faisant appel aux forces morales du Christianisme, l’éducation démocratique du peuple, c’est-à-dire porter à son maximum la conscience et la responsabilité civiques de chacun, d’où découleront la démocratie économique et politique et le règne de la justice, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité…

A la question qui était posée au silloniste Cousin, l’un des plus ardents apologistes de la Doctrine, auteur d’un livre où le mouvement silloniste est exposé en détail et avec éloge : « Vie et Doctrine du Sillon », à la question : « Dites-nous une bonne fois si le Catholicisme est pour vous une fin ou un moyen, car vous le rabaissez en prétendant vous en servir pour réaliser la démocratie », l’apologiste répondait : « Il n’y a qu’une seule fin, c’est Dieu ; tout doit nous servir de moyen pour atteindre cette fin, et, parmi les moyens d’aller à Dieu, c’est-à-dire de réaliser sa volonté ici-bas, la religion est le premier de tous. La religion est donc pour nous le moyen de remplir les devoirs du culte divin, comme aussi de faire une démocratie conforme aux desseins de Dieu sur l’homme et la société. Elle est pour nous le moyen de remplir notre devoir social ; seule, elle peut nous le faire accomplir d’une façon qui nous mène vers Dieu comme tout ce que nous faisons doit nous y mener. »

Dieu, démocratie, deux termes absolument inconciliables dira un peu plus tard Pie X, lorsque, se voyant contraint de prononcer la condamnation du Sillon, mais fidèle, sur ce point, à l’opinion invariable et nullement ambiguë formulée plus particulièrement depuis la Révolution française par tous les pontifes de Rome, il rappelle les sillonistes « ses ouailles égarées » à l’observance des principes sacrés et immuables de l’Église catholique.

Dans sa lettre, en date du 25 août 1910, à l’Épiscopat français, Pie X déclare que le Sillon bâtit sa Cité sur une théorie contraire à la vérité catholique. « Le Sillon, dit-il, place l’autorité publique dans le peuple, de qui elle dérive ensuite aux gouvernants. Or Léon XIII a formellement condamné cette doctrine. Sans doute le Sillon fait descendre de Dieu le principe d’autorité qu’il place d’abord dans le peuple mais de telle sorte qu’elle remonte d’en bas pour aller en haut, tandis que, dans l’organisation de l’Église, le pouvoir descend d’en haut pour aller en bas. D’autre part, le Sillon se fait une fausse idée de la dignité humaine. D’après lui, l’homme ne serait vraiment digne de ce nom que du jour où il aura acquis une conscience éclairée, forte et indépendante, ne s’obéissant qu’à elle-même. Or, à moins de changer la nature humaine, ce grand jour ne viendra jamais ! Et les humbles de la terre qui ne peuvent monter si haut, quoique remplissant énergiquement leurs devoirs dans l’humilité, l’obéissance et la résignation chrétienne, ne seraient donc pas dignes du nom d’hommes ! »

Il nous a paru du plus haut intérêt d’opposer les déclamations des fondateurs du Sillon aux affirmations péremptoires du chef le plus autorisé du catholicisme. Car il y a surtout lieu de considérer que le Sillon était une organisation composée exclusivement de catholiques. Dans la secrète pensée de Marc Sangnier, de même que dans celle de ses collaborateurs et disciples,