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Sa Sainteté m’a conféré un pouvoir si grand que les portes du ciel s’ouvriraient à ma voix, même devant un pécheur qui aurait violé la sainte Vierge et l’aurait rendue mère !… »

Les théologiens, et en particulier Thomas d’Aquin et Alexandre de Hales, ont dénié aux indulgences le pouvoir de remettre les péchés. Les papes, prétendus « infaillibles », n’osèrent pas les traiter en hérétiques, mais ils passèrent outre, secondés par la cupidité du clergé et la stupidité des fidèles. Il n’y eut de véritable conflit entre théologiens et papes que lorsque Luther osa tenir tête à Léon X. Il en sortit la Réforme.

Les annates semblent avoir été la première forme du négoce des emplois de l’Église. Elles consistaient en une redevance que payaient à leur nomination ceux qui étaient pourvus d’un bénéfice. Elles rapportaient de gros revenus à la papauté. Boniface IX fut particulièrement expert à les faire produire. Il alla jusqu’à les tripler, favorisant ainsi, dans l’obtention des bénéfices, des aventuriers qui s’étaient enrichis sans scrupules, aux dépens des clercs pauvres et scrupuleux. Il alla même jusqu’à supprimer le noviciat d’épreuve pour pouvoir nommer évêques et abbés des gens qu’il allait chercher dans les cabarets et les lupanars. Les annates, plusieurs fois supprimées par les rois sur les plaintes du clergé, furent toujours rétablies sur l’intervention des papes. Elles demeurèrent en France jusqu’à la Révolution. L’Assemblée Constituante les abolit les 2 et 4 novembre 1789.

Au IXe siècle, le pape Sergius II, surnommé Groin de cochon, inaugura la vente publique des sacrements et des charges de l’Église, bénéfices, évêchés, abbayes, monastères. Baronius, malgré tout son zèle ecclésiastique, a écrit ce tableau de la cour de Rome au IXe siècle : « Des monstres s’installèrent sur le trône du Christ, par la simonie et par le meurtre. L’Église romaine était transformée en courtisane éhontée, couverte de soie et de pierreries, qui se prostituait publiquement pour de l’or. Le palais de Latran était devenu une ignoble taverne où les ecclésiastiques de toutes les nations allaient disputer aux filles d’amour le prix de la débauche. Jamais les prêtres, et surtout les papes, ne commirent tant d’adultères, de viols, d’incestes, de vols et de meurtres ; jamais l’ignorance du clergé ne fut aussi grande que pendant cette déplorable époque. »

Par la suite, si le clergé ne fut plus ignorant et compta de véritables savants durant la Renaissance qui le décroûta de la crasse médiévale, il n’eut pas de plus belles mœurs. Le crime et la débauche, moins grossièrement perpétrés, prirent des formes artistes. Elles n’en furent pas moins accablantes pour ceux qui étaient réduits à téter les mamelles plates et arides de la misère, pendant que les gens d’église se « résignaient » à boire à celles rebondies de la fortune. Innocent VIII mit toutes les charges de l’Église à l’encan. Alexandre VI, le fameux Borgia, les reprenait après les avoir vendues pour les vendre une seconde fois. Il tirait le plus d’argent possible des promotions des cardinaux puis, il faisait disparaître ceux-ci pour hériter de leurs biens !…

En 1049, un concile s’était réuni à Rome pour annuler les ordinations simoniaques. Elles étaient si nombreuses qu’on dut y renoncer pour ne pas empêcher l’exercice religieux dans les églises. De même, Nicolas II dut absoudre les simoniaques ; il y en avait tant que « presque toutes les églises seraient restées sans prêtres » !

Guifroy de Cerdagne acheta l’évêché de Narbonne et le siège d’Urgel pour son frère Guillaume. Il paya le siège d’Urgel en vendant aux Juifs les objets du culte. Le pape Étienne X acheta l’abbaye du Mont Cassin et la revendit. Un concile de Reims excommunia Henri IV d’Allemagne parce qu’il voulait enlever au pape le

droit de vendre des évêchés et des abbayes. Clément V, au XIVe siècle, acquit des biens immenses par le trafic des dignités ecclésiastiques. Il s’entendit avec Philippe le Bel pour faire le procès des Templiers et s’emparer de leurs biens. Paul II ne fut élu qu’après avoir prêté serment aux cardinaux de continuer l’exploitation des décimes et d’en partager le montant avec eux. Sixte IV et Innocent VIII pratiquèrent largement toutes les formes de la simonie pour enrichir leurs bâtards. Innocent VIII en avait seize quand il devint pape. Clément VI vendit 100.000 florins d’or l’investiture de Bologne à Jean Visconti. Louis XIV paya à la papauté la canonisation de François de Sales. Léopold II d’Autriche envoya des sommes considérables à titre d’honoraires pour des dispenses.

On emplirait des volumes de l’énumération de toutes les simonies dont les représentants de l’Église l’ont souillée dans tous les siècles. On en emplirait aussi avec toutes les protestations, les satires, les pamphlets qui ont dénoncé et flétri de tout temps les hontes de l’Église, particulièrement sa simonie. Les conciles eux-mêmes s’en mêlèrent ; aussi, après celui de Trente qu’au XVIe siècle la papauté eut l’habileté de faire durer dix-huit ans pour qu’il n’aboutît à rien, cette papauté les supprima comme les rois supprimèrent les États Généraux.

Guyot de Provins, au XIIe siècle, attaqua violemment les simoniaques. L’abbé Guibert de Nogent dénonça les truquages littéraires des Vies des Saints et autres romans pieux composés pour encourager le culte des reliques et favoriser la simonie qu’il entretenait. Le troubadour Peire Cardinal écrivit une satire véhémente et indignée contre les clercs qui organisèrent la Croisade des Albigeois. Il disait : « Ils se vêtent en bergers, mais ce sont des loups qui tuent et dévorent les brebis… Ni milan, ni vautour ne sentent de plus loin la chair pourrie qu’eux ne sentent la richesse. Aussi, sont-ils plus volontiers au chevet des riches moribonds que dans la cabane des pauvres. » Jean de Meung, auteur du Roman de la Rose, avait une haine particulière des deux ordres mendiants, dominicains et franciscains, qui s’attribuaient les richesses de ceux qu’ils faisaient tester en leur faveur. Il disait : « leur doctrine est la plus haute de toutes les doctrines, car ils ont su transformer en vœu d’opulence leur vœu de pauvreté. » Ce poète dénonça longuement l’hypocrite cupidité des gens d’église, leur fainéantise et leurs vices sous les traits allégoriques de Faux Semblant :

« On me voit prêcher, conseiller,
Sans jamais des mains travailler…
De l’Antechrist valet parjure,
C’est de moi que dit l’Écriture :
Il a l’habit de sainteté
Mais ne vit que d’iniquité. »

Rutebeuf fit aussi ce dernier reproche aux prêtres qui « faisaient Dieu de leur panse » pendant que le pauvre mourait de faim. Ulrich de Hutten composa tout un volume d’épigrammes contre Rome, la ville « où l’on fait commerce de Dieu, où Simon le magicien donne la chasse à l’apôtre Pierre, où les Caton, les Curius, ont pour successeurs des Romaines ; je ne dis pas des Romains. » Calvin lança un pamphlet contre les reliques et ceux qui en vivent : « porteurs de rogatons qui exercent foire vilaine et déshonnête. » Luther et une foule d’autres ne furent pas moins ardents dans leurs protestations. La Réforme fut celle des consciences contre la simonie de Rome plus que la conséquence de désaccords dogmatiques. Le trafic des indulgences fut la grande affaire des élections impériales au XVIe siècle. Les Fugger, banquiers de Charles Quint et du pape Léon X, furent les intermédiaires de ce dernier pour leur vente en Allemagne.

La satire populaire ne fut pas moins vive que celle