des écrivains. Le conte du curé Amis, exhibant le crâne de Saint Brandan et quêtant pour construire une église à ce saint, est particulièrement amusant. Le malin curé, pour mieux exciter la générosité de ceux qui l’écoutaient, disait qu’il refusait l’argent de tous ceux ayant péché en secret contre les lois de la sainteté et de la vertu ! Tous les imbéciles lui apportaient leur tribu, ne voulant pas avoir péché.
Une histoire non moins amusante est celle du curé de Gonfaron, dans le Var. Il vendait des places pour le paradis. Pour cinq cents francs on avait un fauteuil, pour cent francs une stalle, pour vingt francs un strapontin. A chaque place vendue, il faisait s’envoler un âne qui allait au ciel retenir la place du client. C’est ainsi qu’au pays de Gonfaron on fait voler les ânes !…
Flaubert a décrit le saint Sépulcre « agglomération de toutes les malédictions possibles. Dans un si petit espace il y a une église arménienne, une grecque, une latine, une copte. Tout cela s’injuriant, se maudissant du fond de l’âme et empiétant sur le voisin à propos de chandeliers, de tapis et de tableaux !… On a fait tout ce qu’on a pu pour rendre les saints lieux ridicules. C’est putain en diable : l’hypocrisie, la cupidité, la falsification et l’impudence, oui, mais de sainteté aucune trace. J’en veux à ces drôles de n’avoir pas été émus… »
Louis Bouilhet, comme Victor Hugo dans les Châtiments, a montré l’indignité des marchands du temple :
Ces marchands accroupis sur les pieds du Calvaire
Qui vont tirant au sort et lambeau par lambeau
Se partagent, Seigneur, ta robe et ton manteau ;
Charlatans du saint lieu, qui vendent, ô merveille,
Ton cœur en amulette et ton sang en bouteille !
Relevons parmi les formes innombrables de la simonie que l’ingéniosité ecclésiastique ne cesse pas d’inventer et qui sont de véritables escroqueries protégées par la loi et les tribunaux, les obligations hypothécaires émises par l’École apostolique de Bethléem qui sont « payables ici-bas au comptant et remboursables au ciel, à la caisse de Saint Antoine » !… Pour permettre aux clients d’aller se faire rembourser, d’autres filous pieux leur vendent des billets de chemin de fer pour le paradis. L’aviation leur permettra bientôt d’arriver plus vite aux guichets de saint Antoine. Le développement de l’automobile a produit d’autre part une magnifique floraison de saints protecteurs contre les accidents. Saint Christophe en est le plus bel ornement. Avec lui, il n’est plus nécessaire de s’assurer et sa médaille fait « boire l’obstacle » plus sûrement que les meilleurs pneumatiques.
Enfin, avant d’en terminer avec les formes de la simonie, n’oublions pas le commerce des messes qui se fait sur une échelle inimaginable. Les messes sont les rogatons dont se nourrit le prolétariat ecclésiastique qui n’a pas le privilège, comme les princes et les évêques, de téter les « mamelles rebondies » de l’Église. Aussi, la concurrence est-elle acharnée. Chamfort a raconté l’histoire d’un abbé Raynal, jeune et pauvre, qui accepta de dire une messe tous les jours pour vingt sous. Devenu riche, il la céda à l’abbé de la Porte pour douze sous, en en gardant huit pour lui. L’abbé de la Porte la passa ensuite à quatre sous à un abbé Dénouart. C’est ainsi qu’une messe de vingt sous put nourrir trois parasites. Toutes les Croix, tous les Pèlerins, toutes les Semaines religieuses contiennent les annonces les plus alléchantes. On ne sait jusqu’où ira l’avilissement du prix des messes lorsqu’on lit ce boniment du Bulletin Salésien:
« Unique ! Vraiment unique !
Six messes célébrées chaque jour à la Basilique du Sacré-Cœur à Rome.
Six messes quotidiennes assurées à tous ceux qui, moyennant une humble obole, un franc par tête, s’aggrègeront à l’Œuvre Pie du Sacré-Cœur, destinée à la diffusion de la Foi en pays infidèles et à l’éducation de la jeunesse pauvre. »
Dieu doit être médiocrement flatté de se voir sacrifié six fois par jour pour un franc-quat’sous !… Les messes sont ainsi une sorte de prime que les boutiques de « bonnes œuvres » offrent pour entraîner la clientèle hésitante. Celle des cordicoles de Brugelette, qui s’occupe de l’adoption des « pauvres noirs », inonde le monde de ses prospectus offrant des messes à perpétuité pour ses bienfaiteurs, ses zélateurs et « leurs chers défunts ».
Il est inimaginable qu’à notre époque où l’observation et les progrès scientifiques ont apporté tant de lumières dans les connaissances humaines, la superstition religieuse puisse entretenir encore tant de turpitudes. Certes, il ne faut pas s’exagérer l’étendue de cette superstition, mais elle permet d’autant mieux à l’Église de se maintenir dans sa puissance que d’autre part le calcul et la lâcheté de ceux qui savent mais se taisent, par intérêt ou par peur, lui assurent la plus redoutable impunité. Ne voit-on pas les prétendues démocraties favoriser par tous les moyens les entreprises cléricales contre la laïcité, et les politiciens « mangeurs de curé » ne sont-ils pas aussi fourbes et menteurs que les autres quand ils vont à la messe ? L’Église demeure ainsi un des rouages de l’oppression, répandant son venin et faisant des esclaves de l’iniquité; elle ne représente plus depuis longtemps aucune spiritualité et aucune moralité. Mais tout se tient dans le système d’exploitation de l’homme par l’homme : clergé, armée, magistrature, police, patronat, s’épaulent mutuellement pour soutenir la bâtisse d’infamie sociale. Les hommes doivent la mettre à bas s’ils veulent devenir libres et heureux. En attendant, dans l’état de crise qui menace le Catoplébas capitaliste enfoncé dans son ordure, seuls prospèrent ses deux plus maléfiques soutiens : la religion et la guerre. Les boutiques simoniaques sont aussi brillamment achalandées que celles des marchands de canons ; le doux cœur de Jésus préside à la fabrication des bombes et des gaz asphyxiants de la prochaine « dernière », et ses évêques sonnent le ralliement patriotique au nom de l’Église universelle comme les politiciens au nom du socialisme international !…
La peste simoniaque se multiplie dans un monde de plus en plus composé d’illettrés, de mégalomanes, de brutes et de cagots. Les foules se ruent sur les lieux des miracles et il n’y en a pas assez. Après La Salette et Lourdes, on a vu Lisieux. Aujourd’hui c’est Beauraing. Les porte-crosses mis en rut par les perspectives simoniaques défendent chacun sa boutique avec la fureur la plus véhémente, s’accusant et s’injuriant entre-eux. Les procédés publicitaires les plus ingénieux et les plus grossiers mêlent la charlatanerie sacrée aux plus douteux négoces. Le pape lui-même « tourne » au cinéma comme un vulgaire cabotin. Ce n’est que contre les idées sociales, les idées de progrès et de libération humains que l’Église est antimoderniste. Elle devance toutes les initiatives quand il s’agit d’abrutir l’humanité.
C’est aux travailleurs, à tous ceux qui conservent un esprit sain — et non saint — à balayer cette peste. Elle sera vite emportée le jour où ils diront à tous les simoniaques ce que ceux-ci leur disent ironiquement au nom de leur Dieu : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !… » — Edouard Rothen.
SINCÈRE adj. (du latin sincerus, qui se disait au propre, du miel « sans cire » ). Qui s’exprime sans intention de déguiser sa pensée : « Tous les hommes naissent