Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art antique, 1926.djvu/20

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des générations sans parfois qu’elles le soupçonnent. Si quelques-uns d’entre nous entendent seuls cet appel aux heures d’incompréhension et d’affaissement général, c’est qu’ils représentent à ces heures l’effort idéaliste qui ranimera l’héroïsme endormi dans les multitudes. On a dit que l’artiste se suffit à lui-même. Ce n’est pas vrai. L’artiste qui le dit est atteint d’un orgueil mauvais. L’artiste qui le croit n’est pas un artiste. S’il n’avait pas eu besoin du plus universel de nos langages, l’artiste ne l’aurait pas créé. Dans une île déserte, il bêcherait la terre pour faire pousser son pain. Nul n’a plus besoin que lui de la présence et de l’approbation des hommes. Il parle parce qu’il les sent autour de lui, et dans l’espoir souvent déçu et jamais découragé qu’ils finiront par l’entendre. C’est sa fonction de répandre son être, de donner le plus possible de sa vie à toutes les vies, de demander à toutes les vies de lui donner le plus possible d’elles, de réaliser avec elles, dans une collaboration obscure et magnifique, une harmonie d’autant plus émouvante qu’un plus grand nombre d’autres vies viennent y participer. L’artiste, à qui les hommes livrent tout, leur rend tout ce qu’il leur a pris.

Rien ne nous touche, hors de ce qui nous arrive ou de ce qui peut nous arriver. L’artiste, c’est nous-mêmes. Il a derrière lui les mêmes profondeurs d’humanité enthousiaste ou misérable, il a autour de lui la même nature secrète qu’élargit chacun de ses pas.

L’artiste, c’est la foule à qui nous appartenons tous, qui nous définit tous avec notre consentement ou malgré notre révolte. Il n’a pas le pouvoir de ramasser les pierres de la maison qu’il nous bâtit au risque de s’écraser la poitrine et de se déchirer les mains, sur une autre route que celle que nous suivons à ses côtés. Il faut qu’il souffre de ce qui fait notre souffrance, que nous le fassions souffrir. Il faut qu’il ressente nos joies, qu’il tienne de nous ses joies. Il est nécessaire qu’il vive nos deuils et nos victoires intérieures, même quand nous ne les sentons pas.

L’artiste ne peut sentir et dominer son milieu qu’à la condition de le prendre comme moyen de création. Alors seule-