Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art médiéval, 1921.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de désespoir qui précipite l’âme humaine, à des heures d’affaissement, vers des dieux extérieurs entre les mains desquels elle abdique toute volonté et tout désir, vers des jardins qui ne s’ouvrent qu’aux morts pour leur offrir des fleurs qui sentent le cadavre, les premiers temps du christianisme ont peut-être seuls connu ce mysticisme-là, où un minimum d’humanité subsiste dans la plus grande somme de superstitions et de pratiques religieuses. Mais si le mysticisme apparaît sous cette forme d’espoir frénétique et vivant qui se rue dans les champs touffus de la sensation et de l’action et recueille dans sa substance l’envahissement simultané de toutes les forces du monde qui l’approuvent, le renouvellent et l’exaltent, il est l’esprit créateur même à qui son accord avec elles, révèle ses propres moyens. Quel que soit le dieu qu’il adore, et même s’il nie tous les dieux, celui qui veut créer ne consent pas à lui-même s’il ne sent pas couler dans ses artères tous les fleuves, même ceux qui charrient du sable et de la pourriture, s’il ne voit pas briller toutes les constellations, même celles qui sont éteintes, si le feu primitif, même figé dans l’écorce du globe, ne consume pas ses nerfs, si les cœurs de tous les hommes, même de ceux qui sont morts, même de ceux qui sont à naître ne battent pas dans son cœur, si l’abstraction ne monte pas de ses sens à son âme pour l’associer aux lois qui font agir les hommes, couler les fleuves, brûler le feu, tourner les constellations.

Or partout, ou à peu près partout au Moyen Âge, les créateurs eurent ces heures de communion confuse et sans limite avec le cœur et l’esprit de la matière en mouvement. Et ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’aucun ou presque aucun d’eux ne nous a laissé son nom. Il y eut là, vraiment, un phénomène peut-être unique dans l’histoire, les masses populaires même faisant passer leur force dans la vie qui refluait en elles incessamment, un abandon passionné des multitudes à la poussée aveugle de leurs instincts régénérés. L’antiquité – l’antiquité grecque du moins – n’avait pas connu cette heure, parce qu’elle avait assuré ses conquêtes dans un effort progressif. Ici, les