Page:Faure - L’Arbre d’Éden, 1922.djvu/322

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il faut qu’il le reçoive sur le nez, — sa misère est le canevas sur lequel il tisse en tous sens les fils d’or de sa prodigieuse et ondoyante fantaisie. Il serre soigneusement ses guenilles dans le coffre-fort d’une banque. Il tire sur des manchettes absentes et se mire avec complaisance dans le vernis hypothétique du cuir crevé et gondolé de ses ribouis. Il brosse sa canne avec soin. Et l’élégance qu’il en tire, comme aussi de son vieux melon un peu incliné sur les yeux, et de ses mines, de ses saluts, de ses manières, de ses sourires d’initié mondain, emprunte à son contraste permanent avec sa mise — chemise absente, hardes tenues par des épingles, extraordinaire silhouette de dandysme loqueteux — l’énorme allure comique où le génie anglo-saxon révèle, de Shakespeare au dernier des pitres, sa formidable originalité. Faite de quoi, je n’en sais trop rien. D’une chose joyeuse et sombre. L’imperturbable sérieux dans la farce, sans doute. La présence constante, dans chaque mot et chaque geste, de notre volonté organisante et des catastrophes du hasard. La distraction du rêveur devant le drame qui se joue, peut-être, et, quand il est pris par le drame, la surprise qu’il y ait le drame et le retour attendri sur lui-même parce qu’il n’y peut échapper. En tout cas, l’un des sommets abrupts atteints par le génie de l’homme, où celui-là se maintient par la constance du style qu’il imprime à son art entier. Style grandiose, que la monotonie de ses moyens essentiels apparente au théâtre antique, en donnant à la personnalité