Page:Faure - L’Arbre d’Éden, 1922.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand il dénoue, du dessous de la palissade, les cordons des souliers du policeman qui le guette, je sais bien qu’il le fait exprès. Mais c’est moins sûr, s’il marche sur le pied du goutteux qui persécute son amie. Son innocence et sa malice marchent du même pas. D’ailleurs, n’est-il pas vrai, c’est par malice qu’il nous donne le spectacle de son innocence. Quand il arrive en retard chez son maître et offre son pauvre derrière au coup de pied qui ne vient pas, quand, de son lit, il secoue sa cuvette et traîne à terre ses souliers pour lui faire croire qu’il se lève, une joie divine m’emplit. Il se venge mieux que naguère, il nous venge tous, ceux qui furent, ceux qui viendront. Par son fatalisme et sa résignation, il est vainqueur de la fatalité et des despotes. Que pèse la mort ? Que pèse le mal ? Il fait rire avec sa souffrance. Les dieux fuient de toutes parts.

Les dieux fuient, parce qu’il juge du dehors la passion qui le dévaste, et, s’il accepte leur domination, leur refuse son respect. Ainsi s’empare-t-il du droit de juger aussi la nôtre et de nous autoriser à envisager sans honte notre propre infirmité, notre propre misère, notre propre désespoir. Il ne rit pas de tel ou tel, il rit de lui, et par conséquent de nous tous. Un homme qui peut rire de lui délivre tous les hommes du fardeau de leur vanité. Et, comme il a vaincu les dieux, il devient dieu pour les hommes. Songez donc, il fait rire avec la faim même, avec la faim. Son repas à l’étal du marchand de beignets, ses ruses pour dissimuler