Page:Faure - L’Arbre d’Éden, 1922.djvu/325

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ses larcins, jouer la distraction, l’indifférence, son air absent et détaché alors que ses boyaux crient, qu’il est défaillant, livide et qu’approche le policeman, puisent leur violence comique dans celle de toutes nos souffrances qui doit prêter le moins à rire, la crédulité du rêveur n’ayant rien à voir avec elle, ni l’amour-propre du sot. De quoi donc rions-nous, même quand nous avons eu faim, ou mieux encore nos enfants — infamie à nous crever les yeux pour ne plus voir, à nous enfoncer le poing dans la gorge pour y arrêter le spasme, à nous casser les dents avec leur choc convulsif ? Je pense que c’est, là encore, et là surtout, le contraste étant plus terrible, une victoire de l’esprit sur notre propre tourment. Car il n’y a rien d’autre, au fond, qui affirme l’homme pour nous, qu’il soit un clown ou un poète.

Ce pessimisme constamment vainqueur de lui-même, fait de ce petit pitre un esprit de grande lignée. L’homme qui oppose sans cesse la réalité à l’illusion et accepte de jouer avec leur contraste s’apparente, je l’ai dit, à Shakespeare, et pourrait se réclamer de Montaigne. Inutile de dire qu’il a pu les lire — j’ai vu, je ne sais où, que Shakespeare ne le quittait pas, — mais qu’il n’en avait pas besoin. On a, sans l’avoir connu, les traits du plus lointain aïeul. En tout cas c’est l’esprit moderne tel que Shakespeare, suivant Montaigne, l’a orienté et tout illumine d’aurore : l’homme dansant, ivre d’intelligence, sur les cimes du désespoir. Il y a bien une différence. Le langage, chez Charlot,