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À Travers l’Inde en Automobile

que le chauffeur a empoignée en guise d’aiguillon. L’effort des quatre paires de ruminants est vain ; les roues enfoncent dans le sable, les coolies poussent, s’arc-boutant contre la carrosserie et leurs forces très limitées les obligent à réclamer l’aide des passants. Docilement, ces derniers nous apportent le contingent de leur bonne volonté et de leur maladresse, La plupart sont embarrassés de bottes, de paquets de hardes ; l’un d’eux mène une chèvre en laisse, il l’attache à la poignée du tonneau, et la pauvre bête bêle à fendre l’âme, lorsque l’eau qui affleure aux ailes de la machine, la force à nager. Pour retrouver la route, nous nous épuisons encore pendant une heure sur deux milles de sable, protégés seulement contre l’ardeur immodérée du soleil, par une végétation géante d’herbes des pampas, fuselées de panaches blancs. À la tombée du jour, la campagne devient biblique. Sur l’horizon empourpré où éclatent comme des obus des lueurs plus roses, des gerbes de clarté, des femmes se détachent, adossées à un puits de pierres, soutenant de leurs bras levés les cruches qu’elles portent sur la tête. Un chamelier attardé arrête l’une d’elle en lui demandant à boire ; silencieusement, elle ramène son voile sur les yeux, incline le vase et l’eau coule comme une cascade rafraîchissante dans les mains de l’homme qui boit à longs traits et poursuit son chemin sans se retourner.

Nous sommes en Penjaub, le pays Sik, la terre vaillante, dont l’air, dit le proverbe indoustani : « imprègne de force et de courage le cœur des timides. » Nous avons laissé en dehors de notre itinéraire Paliala, Kapurtala pour arriver plus vite à Amritsar. À la nuit, une nouvelle rivière s’allonge en nappe profonde devant nous, ici, quelques bacs, faisant eau comme des écumoires, servent à transporter les charrettes et les troupeaux. Mon frère et le chauffeur les passent tous en revue avant d’embarquer Philippe sur un large plancher flottant dont la proue s’affine en spatule colossale. Quelques coups de perche nous lancent au fil du courant, puis les indigènes abandonnent leurs gaffes et s’accroupissent en chuchottant des prières à la lune qui se lève toute blanche, et dans la quiétude du soir, une tortue glisse le long de la barque, à demi assommée par un choc d’aviron.

Amritsar est la cité sainte des Siks, c’est-à-dire des Indous qui pratiquent la religion de Baba Nak, fondée entre 1600 et 1700 après J.-C., mélange de christianisme, de mahométisme et de brahisme. Ils forment une race guerrière issue de la caste agriculturale des Jats. Les distinctions de castes sont nulles parmi eux, la privations de boissons spiritueuses et l’abstention de nourriture animale, ne leur sont pas prescrites, le tabac seul leur est interdit. Leurs coutumes pleines de dignité les différencient des autres