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En Bengale

une bâtardise, un mensonge perpétuel. L’on pourrait croire, à la façon dont un « babou » discute le vice-roi, la politique européenne, la guerre russo-japonaise, que c’est un personnage important sur lequel sa race a les yeux fixés, attendant de lui le salut, la renaissance. Puis, l’on est tout surpris d’apprendre que ce bengali, apôtre militant de tous les progrès, n’est qu’un scribe, un paperassier, une centième roue au chariot administratif ; l’incarnation la plus inutile et la plus déplaisante d’une éducation primaire réussie. Jadis, les babous étudiaient à fond le sanscrit ; la majorité, étant de caste brahmaniale, approfondissait les védas pour les expliquer à des disciples studieux et déférents : ils avaient les vices et les vertus de leurs dieux ; aujourd’hui, ils n’imitent plus que les hommes. Parfois, un babou, pour activer le mouvement occidental dans sa famille ou dans son pays, va passer quelques années à Édimbourg, à Oxford. Il revient, ayant endossé le costume européen dans lequel son corps grêle et fluet est aussi dépaysé que son hérédité est contrariée par un entrainement physique étranger au climat et à ses ancêtres. Lorsqu’on lui demande pourquoi il a adopté des détails de civilisation aussi opposés à sa race, il répond qu’à l’âge actuel du monde, il n’est pas décent d’aller aussi légèrement vêtu que le sont ses compatriotes, et lui, qui s’évanouit de frayeur devant un enfant armé d’une aiguille à tricoter, parle de s’aguerrir, de se fortifier par le hockey, le tennis, les sports, pour une lutte future à laquelle il serait seul, du reste, à ne pas prendre part. L’arme des babous, ils l’avouent, n’est point l’épée, mais la plume. Ils la manient facilement, aussi l’Inde est elle inondée des productions littéraires et politiques de certains journalistes calcuttois. Les babous se faufilent dans tous les postes où l’on peut passer de longues heures à écrivasser, à classer des documents, à examiner des colonnes de chiffres ; ils sont de parfaits bureaucrates et, dans cette capacité, d’une utilité inestimable. C’est aussi de leurs rangs que surgissent parfois des prophètes dont la facilité d’élocution, et l’exaltation religieuse particulière aux races d’Orient, entraîne, enlève, embrase une partie de la population et crée une de ces innombrables sectes, dissidentes, de la religion brahmaniale, sous lesquelles la croyance primitive semble devoir être submergée. L’un des plus célèbres parmi ces réformateurs modernes fut Keswhal-Chandra Sen. le père de la Maharani de Koosh-Béhar, qui, le premier, renonça en partie au Panthéon Hindou pour adopter le Dieu des théosophes. Les fidèles de Keswha-Chandra constituent la fraternité brahmosomadge à laquelle appartiennent toutes les sommités intellectuelles, médicales et artistiques, de la société indienne à Calcutta. Les femmes s’habillent d’une façon toute