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À Travers l’Inde en Automobile

ment des flots bourbeux, par la caresse du vent dans les hunes des voiliers dont les carènes s’entrechoquent avec un bruit mat.

Un matin, nous nous décidons à aller jusqu’aux bazars indigènes, les plus populeux, les plus grouillants de misère et de vice qu’il y ait aux Indes. L’on y voit toutes les races, tous les métiers, depuis l’Afghan, vendeur à la criée de fourrures du Kaboul, jusqu’au Chinois, dont les petits yeux bridés s’absorbent dans la confection des nattes et des paniers d’aloès. Le Bengali bedonnant, satisfait, plein de son importance, y coudoie le coolie qui porte des briques sur la tête, le courrier flânant loin de la surveillance de son maître, le « Dhobie » (lessiveur) dont les ânes minuscules trébuchent sous le poids du linge. De leurs balcons, les danseuses ruisselantes d’or et de bijoux, vrais ou faux, sourient à la rue, en regardant passer les missionnaires métis, pauvres et silencieux, qui vont dévotement aux prêches d’une chapelle wesléenne dans une ruelle détournée ; un homme sandwich promet la rédemption par l’Armée du Salut ; à côté de lui, un « jogui » mendie et conte les amours du folâtre dieu Krishna, Des placards en bengali, en urdu, sont affichés pêle-mêle sur les murs entre des réclames de pilules Pink et de biscuits Olibet, une affiche du Spark-Théâtre annonce, en anglais, la représentation du soir et au-dessus de l’entête trône Ganesh, le dieu des poètes.

Dans les boutiques, l’élément européen domine, sous la forme de boutons de verres coloriés, cotonnades de Manchester, chromos du roi et de la reine d’Angleterre, montres de nickel, faïences aux fleurs criardes. Articles de camelote, d’exportation, dont se sert l’Indou modernisé et qui atteste hautement, croit-il, la supériorité de la civilisation adoptée, sur celle des Hindous de la vieille école qui mangent avec les doigts et ne jouent pas au foot-ball, « for exercise sake ».

Rien de grotesque, de discordant, comme ces jeunes indigènes élevés à l’anglaise ; ils gardent toutes les insuffisances de leur race et y joignent les ridicules, les mesquineries, les inutilités qui encombrent nos vies. Ils étonnent par leurs facultés imitatives, leur prodigieuse mémoire qui leur permet de s’assimiler un programme universitaire, de passer brillamment des examens, de citer avec des péroraisons pompeuses « Macaulay ou Shakespeare » ; puis ils stupéfient par l’apathie de l’intelligence, l’absence totale d’idées personnelles. Depuis leur ridicule accoutrement qui se compose de bas, de souliers, d’une mousseline roulée autour du corps et d’une chemise d’homme empesée flottant sur le tout, jusqu’à la façon prétentieuse dont ils s’expriment, en anglais emphatique, rien, en eux, n’est vrai, ni simple ; ils sont un ridicule,