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Junaghad et le Girnar

les phalanges de la main abandonnée aux baisers pieux des pèlerins nombreux, se produit une certaine moiteur : dernier effet de la puissance de Neminath, depuis l’invasion anglaise, ajoute sentencieusement un vieux moine jain.

Cet ascète est très différent des « Jogui » de confession brahmaniale ; vêtu d’une sorte de toge blanche, la tête complètement rasée, imberbe, il marche à petits pas, balayant avec un fouet de crins jaunâtres la place où ses pieds vont se poser, afin de ne pas enlever la vie par inadvertance au moindre insecte. Il vit dans un monastère qu’il a quitté pour voir, avant de mourir, les lieux consacrés aux Tirtankars ; il voyage avec une nombreuse caravane de son ordre ; tous ses frères, habillés comme lui, ont les mêmes manières douces et policées, craintives ; ils semblent hésiter à froisser leur prochain par un regard ou une parole inconsidérément brusque. Ils logent dans la première enceinte, le plus près des saintes images, ne prennent qu’un repas, avant le coucher du soleil et ne boivent que l’eau bouillie par une personne de basse caste, qui supporte ainsi le poids du péché de destruction des germes vivants. Leur règle très sévère leur interdit de converser avec des Européens et ils se refusent obstinément à satisfaire plus amplement notre curiosité.

Il n’en est pas de même d’un groupe de pèlerins que nous trouvons assis devant le portail de l’Amba Mata, sanctuaire situé à l’extrémité d’un troisième pic et adossé au vide, une dizaine de familles brahmes y sont venues ce matin déposer leurs vœux de bonheur pour un jeune ménage qui a, suivant la coutume, gravi la montagne, les époux liés l’un à l’autre par le sarri de noce de la mariée.

Ces pauvres bambins sont épuisés de fatigue, la fillette, âgée tout au plus de cinq ans, s’est endormie sur les genoux de son mari, dont la menotte brunie s’efforce d’écarter de son visage les mouches et les insectes. Les femmes me laissent admirer leurs jupes de soies teintes, violettes et vertes, les bandes de broderies, les pièces de drap d’or soutaché de leurs voiles, les larges bracelets d’ivoire rougis au vermillon, cerclés d’argent ou de cuivre, les colliers en grains d’or, les clous de nez en perles, les boucles d’oreilles de rubis qui les parent. L’une d’elles me fait visiter le sanctuaire. Des tambours, des flûtes gisent abandonnés dans un coin, le pavé est inégal, les murs dénudés.

Au fond de la salle, une sorte de poupée en carton, habillée de rouge, la figure couverte d’une étoffe avec deux trous simulant les yeux, et la bouche de laquelle s’échappe une langue de laine écarlate, représente la déesse.