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Chez le Nizam


DANS LES PLAINES DU DEKKAN, 10 FÉVRIER.


Depuis de longues heures nous errons à l’aventure à travers les immenses plaines incultes qui marquent l’entrée des états du Nizam d’Hyderabad, le potentat musulman, dont la puissance et l’orthodoxie ne le cèdent qu’à celles du Maître de la Porte. L’on serait tenté de croire qu’une malédiction des dieux pèse sur le Dekkan, tant sa stérilité est effroyable. La fraîcheur des ruisselets ou des canaux, les pluies bienfaisantes sont inconnues dans ces parages, le sol crevassé par la sécheresse ne nourrit que des lichens pourpre qui s’étalent comme des tâches de sang répandu au flanc de monticules d’argile. L’uniformité jaunâtre de la nature calcinée, embrasée par un vent de feu, torture l’imagination en évoquant la possibilité d’un séjour prolongé dans cette solitude brûlante. Nous suivons un sentier défoncé, aride, sableux ; c’est la route d’Aurengabad, au dire d’un passant solitaire que nous interrogeons. Il nous écoute, tremblant, et répond en Telegu, en Kanarese. L’Indoustani n’est plus compris. De la main nous désignons le point de l’horizon où nous supposons trouver la ville, en répétant : « Aurengabad, Aurengabad ». Enfin il saisit, une lueur d’intelligence passe dans ses yeux abêtis, il hoche lentement la tête ; nous sommes bien réellement sur le droit chemin. Les milles succèdent aux milles ; l’après-midi, puis le crépuscule nous trouvent encore à jeun, très loin d’un village quelconque, ivres de chaleur et de fatigue. Cependant, au coucher du soleil, le paysage s’adoucit et devient plus moëlleux. Des arbrisseaux, des ronces aux fleurs ardentes, croissent entre les traînées de pierraille grise, des langues de terre arables contrastent par leur relative fertilité avec la désolation que nous abandonnons. De petites vaches, les cornes entortillées de coquillages, labourent, pacifiquement accouplées à d’étiques chevaux qui les aident à tirer des charrues de bois.

Nous arrivons au bord d’un torrent à demi desséché ; les eaux très basses, à la vue, permettent semble-t-il de traverser sans arrêter le moteur. Des femmes lavent des hardes dans les flaques sableuses, leur battoirs retombent en cadence, elles s’amusent et conversent entre-elles ; un charretier mène un attelage de buffles qui enfoncent dans l’eau jusqu’au poitrail, des enfants vêtus d’un beau sourire candide, se roulent dans la vase, encourageant les animaux de la voix.

Nous passons comme un éblouissement jaune, et le ronflement subit de la machine, la vue d’Européens, angoissent ces