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Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/38

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En Bengale

accouru à leurs cris, joint ses instances aux leurs, nous demandant avec une noble gravité de « passer le seuil de sa demeure » pour nous y reposer durant les heures de midi.

Sa belle physionomie aryenne s’éclaire d’un sourire en nous introduisant dans une pièce obscure, éclairée uniquement par la porte ouverte. Le plancher de terre battue, arrosé d’eau toutes les demi-heures, maintient une fraîcheur délicieuse dans la salle et quelques grains d’encens qui brûlent devant une image de Shiva embaument l’air.

Dans un coin, un lit de sangle sert de divan à deux Brahmes, amis du médecin, qui fument une sorte de narguileh d’argent. Ils ont le devant de la tête rasé et portent le reste de leur chevelure en rouleaux huileux tombant sur la nuque, le torse nu est traversé par le fameux cordon brahmanical, une cordelette en fils de lin grisâtre. L’un, chef de gare de Ranaghat, l’autre, aide du praticien, se réclament de la caste des « Kulins » les Brahmes des Brahmes, ceux chez lesquels le sang aryen s’est conservé absolument pur, ce qu’ils prouvent par un exposé de leurs alliances matrimoniales en remontant depuis nos jours jusqu’à 300 et 600 avant le Christ. Leur ressemblance avec les races d’Occident est frappante, l’expression des yeux, le dessin de la bouche, la coloration de la peau les distinguent autant que les Européens des populations mélangées parmi lesquelles ils vivent. La supériorité de leur caste, due primitivement à cette aristocratie du sang, s’est conservée et imposée aux autres races par son omnipotence intellectuelle, politique et religieuse. Les Brahmes ont été les créateurs, les législateurs et les censeurs de la Société indoue. Ils l’ont édifiée en concédant aux castes guerrières des possessions matérielles, récompense de leurs services militaires, mais ils conservèrent toujours pour eux-mêmes la gestion et la direction des affaires publiques, auxquelles ils joignirent la primauté spirituelle, l’autorité absolue dans les questions religieuses, n’admettant pas les autres castes à l’étude et à l’explication des Védas. L’hérédité intellectuelle se manifeste si visiblement chez les Brahmes, que j’ai souvent entendu dire à des maîtres d’école que les enfants de cette caste se faisaient remarquer parmi leurs compagnons dès le plus bas âge, par la rapidité de leurs perceptions, leur goût pour l’étude, la finesse de leurs réflexions. Depuis de longs siècles, les Brahmes ne jouissent plus d’aucune influence dans l’administration du pays, mais leur pouvoir sur le peuple reste le même ; la vénération, l’adoration publique les entourent malgré la décadence de la caste. Il n’y a pas un maharadja qui ne se lève lorsqu’un Brahme entre à son « durban » (réception) ou qui ne lui fasse le premier le « pranam » (salutation des deux