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En Bengale


20 MAI.


À la porte du palais princier, un garde arabe du harem m’attend ; il s’incline silencieusement, touchant la terre de la main avant de la porter au front et me fait signe de le suivre. Nous traversons plusieurs cours carrées, désertes, brûlantes, de longs couloirs à ciel ouvert resserrés entre des murs crépis de blanc, aveuglants sous un soleil de midi. Mon guide, enveloppé d’un manteau de drap noir attaché avec des chaînes d’argent sur la poitrine, paraît, à la lumière crue, plus sauvage, plus décharné que dans l’ombre du porche d’entrée. Les os de la face sont saillants, les yeux sortent presque de l’orbite, le nez est informe, la bouche affaissée et douloureuse. Il se retourne parfois, son regard est d’une fixité tellement cadavérique, qu’il me vient une envie irraisonnée de fuir, d’échapper au spectre dont les bijoux se heurtent avec le bruit sinistre des fers d’un condamné. Nous nous arrêtons enfin devant une porte basse qui s’ouvre mystérieusement dans un mur haut et très épais par delà lequel flotte un murmure de voix de femmes, que dominent des rires aigus d’enfants. Plus sombre, plus effrayant encore dans son rôle de geôlier, l’Arabe choisit parmi les clefs qu’il porte suspendues au poignet, un passe-partout en forme de serpe qu’il introduit dans une serrure à moitié dissimulée dans le mur. Il m’invite du geste à passer devant lui et je me trouve dans le harem des princes cadets de Moorshidabab.

C’est une cour étroite, bordée de bâtiments blancs, ornés d’une vérandah circulaire soutenue par des piliers de stuc. Le milieu du carré est occupé par un jardin dont les allées de marbre glissent parmi les buis taillés en éléphants, les massifs de roses, de gardénias, les plates-bandes de tubéreuses dont les corolles enivrantes se confondent avec le blanc laiteux des marbres. Des perruches apprivoisées picorent les fruits oubliés d’un manguier, au pied duquel deux aras cramoisis sont enchaînés à des perchoirs d’ivoire incrustés de fantaisies d’argent. Des eaux parfumées tombent dans des vasques de marbre rose, pleines de poissons dont les écailles d’or jettent une note forte dans la fadeur des nénuphars et des lotus pâles.

Des paons blancs harassés par la chaleur se sont blottis à l’ombre, laissant traîner sur le sol poli leurs plumes étincelantes ; timidement, des tourterelles grises volètent parmi eux, se disputant quelques grains de riz sec. C’est un véritable Shaz Bagh, un jardin de délices, où la nature dépouillée de toute sa vigoureuse rusticité devient un jouet florituré et embaumé, destiné aux plai-