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LIVRE v.

prédiction ; je suis venu dans cette île ; j’ai découvert le vrai sens des lois, et je souhaite que mon explication serve à les faire régner avec l’homme que vous choisirez. Pour moi, je préfère ma patrie ; la pauvre, la petite île d’Ithaque, aux cent villes de Crète, à la gloire et à l’opulence de ce beau royaume. Souffrez que je suive ce que les destins ont marqué. Si j’ai combattu dans vos jeux, ce n’était pas dans l’espérance de régner ici ; c’était pour mériter votre estime et votre compassion ; c’était afin que vous me donnassiez les moyens de retourner promptement au lieu de ma naissance. J’aime mieux obéir à mon père Ulysse, et consoler ma mère Pénélope, que régner sur tous les peuples de l’univers. Ô Crétois, vous voyez le fond de mon cœur : il faut que je vous quitte ; mais la mort seule pourra finir ma reconnaissance. Oui, jusqu’au dernier soupir, Télémaque aimera les Crétois, et s’intéressera à leur gloire comme à la sienne propre.

À peine eus-je parlé qu’il s’éleva dans toute l’assemblée un bruit sourd, semblable à celui des vagues de la mer qui s’entrechoquent dans une tempête. Les uns disaient : Est-ce quelque divinité sous une figure humaine ? D’autres soutenaient qu’ils m’avaient vu en d’autres pays, et qu’ils me reconnaissaient. D’autres s’écriaient : Il faut le contraindre de régner ici. Enfin, je repris la parole, et chacun se hâta de se taire, ne sachant si je n’allais point accepter ce que j’avais refusé d’abord. Voici les paroles que je leur dis.

Souffrez, ô Crétois, que je vous dise ce que je pense. Vous êtes le plus sage de tous les peuples ; mais la sagesse demande, ce me semble, une précaution qui vous échappe. Vous devez choisir, non pas l’homme qui raisonne le mieux sur les lois, mais celui qui les pratique avec la plus