Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
télémaque.

blait commandeur aux vents et à la mer. Je le suis : et qui aurait pu ne pas le suivre, étant encouragé par lui ?

Nous nous conduisions nous-mêmes sur ce mât flottant. C’était un grand secours pour nous, car nous pouvions nous asseoir dessus ; et, s’il eût fallu nager sans relâche, nos forces eussent été bientôt épuisées. Mais souvent la tempête faisait tourner cette grande pièce de bois, et nous nous trouvions enfoncés dans la mer : alors nous buvions l’onde amère, qui coulait de notre bouche, de nos narines et de nos oreilles : nous étions contraints de disputer contre les flots pour rattraper le dessus de ce mât. Quelquefois aussi une vague haute comme une montagne venait passer sur nous ; et nous nous tenions fermes, de peur que, dans cette violente secousse, le mât, qui était notre unique espérance, ne nous échappât.

Pendant que nous étions dans cet état affreux, Mentor, aussi paisible qu’il l’est maintenant sur ce siège de gazon, me disait : Croyez-vous, Télémaque, que votre vie soit abandonnée aux vents et aux flots ? Croyez-vous qu’ils puissent vous faire périr sans l’ordre des dieux ? Non, non : les dieux décident de tout. C’est donc les dieux, et non pas la mer, qu’il faut craindre. Fussiez-vous au fond des abîmes, la main de Jupiter pourrait vous en tirer. Fussiez-vous dans l’Olympe, voyant les astres sous vos pieds, Jupiter pourrait vous plonger au fond de l’abîme, ou vous précipiter dans les flammes du noir Tartare. J’écoutais et j’admirais ce discours, qui me consolait un peu ; mais je n’avais pas l’esprit assez libre pour lui répondre. Il ne me voyait point ; je ne pouvais le voir. Nous passâmes toute la nuit, tremblants de froid et demi-morts, sans savoir où la tempête nous jetait. Enfin les vents commencèrent à s’apaiser ; et la mer mugissante ressemblait à une per-