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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/118

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LIVRE v.

profonds abîmes ces deux hommes que je ne puis sentir ?

À peine avait-elle parlé, que Neptune souleva les flots jusqu’au ciel : et Vénus rit, croyant notre naufrage inévitable. Notre pilote, troublé, s’écria qu’il ne pouvait plus résister aux vents qui nous poussaient avec violence vers les rochers : un coup de vent rompit notre mât ; et un moment après, nous entendîmes les pointes des rochers qui entr’ouvraient le fond du navire. L’eau entre de tous côtés ; le navire s’enfonce ; tous nos rameurs poussent de lamentables cris vers le ciel. J’embrasse Mentor, et je lui dis : Voici la mort ; il faut la recevoir avec courage. Les dieux ne nous ont délivrés de tant de périls que pour nous faire périr aujourd’hui. Mourons, Mentor, mourons. C’est une consolation pour moi de mourir avec vous ; il serait inutile de disputer notre vie contre la tempête.

Mentor me répondit : Le vrai courage trouve toujours quelque ressource. Ce n’est pas assez d’être prêt à recevoir tranquillement la mort ; il faut, sans la craindre, faire tous ses efforts pour la repousser. Prenons, vous et moi, un de ces grands bancs de rameurs. Tandis que cette multitude d’hommes timides et troublés regrette la vie sans chercher les moyens de la conserver, ne perdons pas un moment pour sauver la nôtre. Aussitôt il prend une hache, il achève de couper le mât qui était déjà rompu, et qui, penchant dans la mer, avait mis le vaisseau sur le côté ; il jette le mât hors du vaisseau, s’élance dessus au milieu des ondes furieuses ; il m’appelle par mon nom, et m’encourage pour le suivre. Tel qu’un grand arbre que tous les vents conjurés attaquent, et qui demeure immobile sur ses profondes racines, en sorte que la tempête ne fait qu’agiter ses feuilles ; de même Mentor, non-seulement ferme et courageux, mais doux et tranquille, sem-