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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/130

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LIVRE vi.

En parlant ainsi, Calypso avait les yeux rouges et enflammés : ses regards ne s’arrêtaient jamais en aucun endroit ; ils avaient je ne sais quoi de sombre et de farouche. Ses joues tremblantes étaient couvertes de taches noires et livides ; elle changeait à chaque moment de couleur. Souvent une pâleur mortelle se répandait sur tout son visage : ses larmes ne coulaient plus comme autrefois avec abondance : la rage et le désespoir semblaient en avoir tari la source, et à peine en coulait-il quelqu’une sur ses joues. Sa voix était rauque, tremblante et entrecoupée. Mentor observait tous ses mouvements, et ne parlait plus à Télémaque. Il le traitait comme un malade désespéré qu’on abandonne, il jetait souvent sur lui des regards de compassion.

Télémaque sentait combien il était coupable, et indigne de l’amitié de Mentor. Il n’osait lever les yeux, de peur de rencontrer ceux de son ami, dont le silence même le condamnait. Quelquefois il avait envie d’aller se jeter à son cou, et de lui témoigner combien il était touché de sa faute : mais il était retenu, tantôt par une mauvaise honte, et tantôt par la crainte d’aller plus loin qu’il ne voulait pour se tirer du péril ; car le péril lui semblait doux, et il ne pouvait encore se résoudre à vaincre sa folle passion.

Les dieux et les déesses de l’Olympe, assemblés dans un profond silence, avaient les yeux attachés sur l’île de Calypso, pour voir qui serait victorieux, ou de Minerve ou de l’Amour. L’Amour, en se jouant avec les nymphes, avait mis fout en feu dans l’île. Minerve, sous la figure de Mentor, se servait de la jalousie, inséparable de l’amour, contre l’Amour même. Jupiter avait résolu d’être le spectateur de ce combat, et de demeurer neutre.

Cependant Eucharis, qui craignait que Télémaque ne