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télémaque.

que la puissance et l’industrie de Minerve n’ont pas besoin d’un grand temps pour achever les plus grands ouvrages.

Calypso se trouva dans une horrible peine d’esprit : d’un côté, elle voulait voir si le travail de Mentor s’avançait ; de l’autre, elle ne pouvait se résoudre à quitter la chasse, où Eucharis aurait été en pleine liberté avec Télémaque. La jalousie ne lui permit jamais de perdre de vue ces deux amants : mais elle tâchait de tourner la chasse du côté où elle savait que Mentor faisait le vaisseau. Elle entendait les coups hache et de marteau : elle prêtait l’oreille ; chaque coup la faisait frémir. Mais, dans le moment même, elle craignait que cette rêverie ne lui eût dérobé quelque signe ou quelque coup d’œil de Télémaque à la jeune nymphe.

Cependant Eucharis disait à Télémaque d’un ton moqueur : Ne craignez-vous point que Mentor ne vous blâme d’être venu à la chasse sans lui ? Oh ! que vous êtes à plaindre de vivre sous un si rude maître ! Rien ne peut adoucir son austérité : il affecte d’être ennemi de tous les plaisirs ; il ne peut souffrir que vous en goûtiez aucun ; il vous fait un crime des choses les plus innocentes. Vous pouviez dépendre de lui pendant que vous étiez hors d’état de vous conduire vous-même ; mais, après avoir montré tant de sagesse, vous ne devez plus vous laisser traiter en enfant.

Ces paroles artificieuses perçaient le cœur de Télémaque, et le remplissaient de dépit contre Mentor, dont il voulait secouer le joug. Il craignait de le revoir, et ne répondait rien à Eucharis, tant il était troublé. Enfin, vers le soir, la chasse s’étant passée de part et d’autre dans une contrainte perpétuelle, on revint par un coin de la forêt assez voisin du lieu où Mentor avait travaillé tout le jour.