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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/132

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LIVRE vi.

dans cet abîme de malheurs ! C’est moi qui ai mis le flambeau fatal dans le sein du chaste Télémaque. Quelle innocence ! quelle vertu ! quelle horreur du vice ! quel courage contre les honteux plaisirs ! Fallait-il empoisonner son cœur ? Il m’eût quittée ! Eh bien ! ne faudra-t-il pas qu’il me quitte, ou que je le voie plein de mépris pour moi, ne vivant plus que pour ma rivale. Non, non, je ne souffre que ce que j’ai bien mérité. Pars, Télémaque, va-t’en au delà des mers : laisse Calypso sans consolation, ne pouvant supporter la vie, ni trouver la mort : laisse-la inconsolable, couverte de honte, désespérée, avec ton orgueilleuse Eucharis.

Elle pariait ainsi seule dans sa grotte : mais tout à coup elle sort impétueusement. Où êtes-vous, ô Mentor ? dit-elle. Est-ce ainsi que vous soutenez Télémaque contre le vice auquel il succombe ? Vous dormez, pendant que l’Amour veille contre vous. Je ne puis souffrir plus longtemps cette lâche indifférence que vous témoignez. Verrez-vous toujours tranquillement le fils d’Ulysse déshonorer son père, et négliger sa haute destinée ? Est-ce à vous ou à moi que ses parents ont confié sa conduite ? C’est moi qui cherche les moyens de guérir son cœur ; et vous, ne ferez-vous rien ? Il y a, dans le lieu le plus reculé de cette forêt, de grands peupliers propres à construire un vaisseau ; c’est là qu’Ulysse fit celui dans lequel il sortit de cette île. Vous trouverez au même endroit une profonde caverne, où sont tous les instruments nécessaires pour tailler et pour joindre toutes les pièces d’un vaisseau.

À peine eut-elle dit ces paroles, qu’elle s’en repentit. Mentor ne perdit pas un moment : il alla dans cette caverne, trouva les instruments, abattit les peupliers, et mît en un seul jour un vaisseau en état de voguer. C’est