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LIVRE vi.

toutes ses faiblesses et qu’il n’y avait pas un seul moment à perdre. Il aperçut de loin au milieu des flots un vaisseau arrêté, qui n’osait approcher de l’île, parce que tous les pilotes connaissaient que l’île de Calypso était inaccessible à tous les mortels. Aussitôt le sage Mentor poussant Télémaque, qui était assis sur le bord du rocher, le précipite dans la mer, et s’y jette avec lui. Télémaque, surpris de cette violente chute, but l’onde amère, et devint le jouet des flots. Mais revenant à lui, et voyant Mentor qui lui tendait la main pour lui aider à nager, il ne songea plus qu’à s’éloigner de l’île fatale.

Les nymphes, qui avaient cru les tenir captifs, poussèrent des cris pleins de fureur, ne pouvant plus empêcher leur fuite. Calypso, inconsolable, rentra dans sa grotte, qu’elle remplit de ses hurlements. L’Amour, qui vit changer son triomphe en une honteuse défaite, s’éleva au milieu de l’air en secouant ses ailes, et s’envola dans le bocage d’Idalie, où sa cruelle mère l’attendait. L’enfant, encore plus cruel, ne se consola qu’en riant avec elle de tous les maux qu’il avait faits.

À mesure que Télémaque s’éloignait de l’île, il sentait avec plaisir renaître son courage et son amour pour la vertu. J’éprouve, s’écriait-il parlant à Mentor, ce que vous me disiez, et que je ne pouvais croire, faute d’expérience : on ne surmonte le vice qu’en le fuyant. Ô mon père, que les dieux m’ont aimé en me donnant votre secours ! Je méritais d’en être privé, et d’être abandonné à moi-même. Je ne crains plus ni mers, ni vents, ni tempêtes ; je ne crains plus que mes passions. L’Amour est lui seul plus à craindre que tous les naufrages.

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