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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/163

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TÉLÉMAQUE.

se donner encore les uns aux autres une mort précipitée ? La vie est si courte ! et il semble qu’elle leur paraisse trop longue ! Sont-ils sur la terre pour se déchirer les uns les autres, et pour se rendre mutuellement malheureux ?

Au reste, ces peuples de la Bétique ne peuvent comprendre qu’on admire tant les conquérants qui subjuguent les grands empires. Quelle folie, disent-ils, de mettre son bonheur à gouverner les autres hommes, dont le gouvernement donne tant de peine, si on veut les gouverner avec raison, et suivant la justice ! Mais pourquoi prendre plaisir à les gouverner malgré eux ? C’est tout ce qu’un homme sage peut faire, que de vouloir s’assujettir à gouverner un peuple docile dont les dieux l’ont chargé, ou un peuple qui le prie d’être comme son père et son pasteur. Mais gouverner les peuples contre leur volonté, c’est se rendre très-misérable, pour avoir le faux honneur de les tenir dans l’esclavage. Un conquérant est un homme que les dieux, irrités contre le genre humain, ont donné à la terre dans leur colère, pour ravager les royaumes, pour répandre partout l’effroi, la misère, le désespoir, et pour faire autant d’esclaves qu’il y a d’hommes libres. Un homme qui cherche la gloire ne la trouve-t-il pas assez en conduisant avec sagesse ce que les dieux ont mis dans ses mains ? Croit-il ne pouvoir mériter des louanges, qu’en devenant violent, injuste, hautain, usurpateur, et tyrannique sur tous ses voisins ? Il ne faut jamais songer à la guerre, que pour défendre sa liberté. Heureux celui qui n’étant point esclave d’autrui, n’a point la folle ambition de faire d’autrui son esclave ! Ces grands conquérants, qu’on nous dépeint avec tant de gloire, ressemblent à ces fleuves débordés qui pa-